Le vieux Montlaux


Encore un village abandonné, me direz-vous ! et encore dans les Alpes de Haute-Provence : cela s’explique par le fait que c’est une région rurale essentiellement, qui compte beaucoup de villages abandonnés à la fin du XIXè ou au début du XXè, à cause de conditions de vie difficiles (manque d’eau, village difficilement accessible, cultures en perte de vitesse, etc). Quand celui-ci a été abandonné, il ne restait que quelques fermes éparses dans la plaine. Cette balade extraite de J.L. Carribou, F.X. Emery, 15 balades littéraires à la rencontre de Giono, tome 2 montagne de Lure, le Bec en l’air, 2012, a été adaptée pour faire une boucle et non un simple aller et retour.

Vu l’état du chemin étroit et défoncé, qui mène au Revest, je me gare sur le petit parking du tri sélectif, au croisement entre le GR de pays tour de la montagne de Lure et la route qui arrive par le sud. Dans le hameau, je m’attarde devant l’église que j’avais découverte lors d’une randonnée Tour des hameaux de Sigonce. La chapelle Saint-André et son large escalier de pierre, est cette fois fermée mais je ne peux qu’admirer l’agencement soigné des pierres. Elle est connue pour son tableau représentant le martyre de Saint-André. Avec ses maisons de pierre en toits de lauze, le hameau est plutôt coquet.

Au milieu de l’ancien cimetière, entouré d’un mur de pierres branlantes, quelques tombes plantés de travers révèlent encore le nom des défunts : Curnier Théophile (1897), Combes Henri. Un peu plus loin des ruines dans un lieu dit l’Hôpital. Se pourrait-il qu’il y en ait eu une hospitalité dans cet endroit perdu ?

Un hospital, autrefois, était un lieu fait pour les passants qui n’avaient pas de connaissances dans le lieu où ils devaient passer la nuit ; puis les Hospitaux en Europe ont été réservés aux seuls pauvres. L’hospital général est celui où on reçoit tous les mendiants. L’Hostel-Dieu est l’hospital de tous les malades.

Le ministre de l’Intérieur a décerné la médaille de bronze des épidémies à M. l’abbé Vidal (Urbain), curé de Revest-Saint-Martin (Basses-Alpes), pour « le dévouement tout spécial dont il a fait preuve auprès des malades lors de l’épidémie de typhoïde qui a sévi en 1911 dans cette commune », à Mlle Hérisson, institutrice dans la même commune, pour les soins donnés par elle aux malades au cours de la même épidémie. Extrait de l’admirable dévouement du curé Urbain Vidal (Revest Saint-Martin)

A la fourche, j’abandonne le GR pour aborder la combe des Guérins ; il y aurait parait-il un petit chêne-lyre évoqué par Giono dans ‘ronde des jas, ronde des bergers’. Le paysage me parait bien désordonné et sans vie. C’est en regardant la carte géologique du coin et en lisant le livre de Gabriel Conte que j’ai compris pourquoi.

Pas besoin de s’y connaitre en géologie pour s’apercevoir que la carte du BRGM est pleine de couleurs différentes, donc couches géologiques diverses d’époques différentes : argiles sableuses, marnes et marnes calcaires, grès glauconieux, grès à Exogyra, mégabrèche, grès et sables, marnes sableuses. La colline tout entière est dans les marnes avec divers étages de formation détritique (composée de plus de 50% de débris).

Des couches marneuses plus ou moins calcaires, certaines colorées en rouge, des conglomérats à galets. Ces dépôts sont le résultat du remplissage du lac par les courants torrentiels ou les crues qui les déversaient ici.

Sur le chemin, à l’approche des Guérins, observez bien le chemin : à gauche, blanc, oligocène ; à droite jaune, Cénomanien avec de nombreuses coquilles d’Exogyra columba ; 60 millions les séparent. Selon Le pays de Forcalquier son lac, sa mer, cinq itinéraires géologiques, Gabriel Conte, C’est-à-dire Editions, 2010. Exogyra est caractéristique du grès vert en Provence ; cet animal de la famille des huîtres à crochet a une coquille striée. Il faut donc bien admettre que l’eau (d’un lac et peut-être même de la mer puisque l’eau pouvait être plus ou moins salée) est passée par là, même si c’est difficile à imaginer.

Il me faut zigzaguer sans arrêt pour éviter les flaques d’un chemin qui serpente maintenant entre les champs mouillés ; la ferme des Guérins est fermée par une chaîne portant l’indication d’une propriété privée ; j’y suis déjà venue accompagnée d’un guide lors de la fête de la randonnée 2009 ; encouragée par la mention de mon livre signalant l’hospitalité du propriétaire, je m’engage sur le chemin de sa maison.

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D’Aubignosc au vieux village de Chateauneuf Val Saint Donat


Après ma première visite du village abandonné et enneigé de Chateauneuf Val-Saint-Donat : une colline sous le beau vent de Lure,  je souhaitais refaire la visite pour le château, véritable forteresse militaire. Il me fallait d’abord prélever quelques informations pour m’y repérer. Pas très longue, la randonnée s’est pourtant révélée plus difficile que je ne le pensais, alternant montées et descentes dans un environnement forestier pas toujours bien balisé.

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Le départ est clairement annoncé : les Roubines, les très connues « Terres Noires » (marnes pas vraiment noires ici puisque ce sont des marnes bleues) formant des roubines1 suite à leur intense érosion, et Chateauneuf Val Saint-Donat.

Les marnes sont constituées d’argile, de calcaire et de schiste ; elles se sont formées au fond de la mer, pendant le Secondaire. Pendant des millions d’années se sont  accumulées des centaines de mètres d’épaisseur de sédiments. Leur couleur varie du noir au bleuté, en passant par les gris, voire le jaunâtre, à la suite d’altération. Elles forment des sols très sensibles à l’érosion, des reliefs ravinés que parcourent des rus intermittents. Selon le club minéraux et fossiles 26-07

Après un passage encore verglacé, j’entre assez vite dans la forêt domaniale du Prieuré. Au premier carrefour de pistes, s’offre une alternative inconnue mais qui me tente bien pour ne pas emprunter le même trajet à l’aller comme au retour. Je prends donc la direction des Amarines par le GR 653D qui suit librement la via Domitia de Montgenèvre à Arles, et qui a été remis à l’honneur comme chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Après le passage sous la ligne à haute tension, je traverse à gué le ruisseau de Maurieu. C’est là que j’ai perdu le GR ; plutôt téméraire, j’ai escaladé face à moi la paroi rocheuse qui se délitait. Mauvaise piste. Il fallait traverser puis longer la rive par la droite pour pénétrer dans les amarines, du provençal amarino désignant sans doute le saule osier (sans rapport avec la Marine !). Dans les marnes, le tracé est parfois effacé par l’érosion ; le premier crocus de la saison émerge des aiguilles de pin au sol. Plus loin, la roche suinte de partout. Dans un bois clairsemé, le carrefour avec mon futur chemin du retour est parfaitement visible.

Cet itinéraire équestre passe à gué deux ruisseaux. De loin la tour du moulin se détache sur fond de ciel bleu. Nous sommes maintenant sur une piste VTT. A l’approche du domaine de Thoron, je remarque une portion de voie pavée à l’image des voies romaines. L’épais mur de blocs de pierres équarries porte l’indication du GR qui nous invite à virer à angle droit. Non loin de là, je m’étonne de trouver le long du sentier une seule vieille pierre plantée à la verticale, solidement ancrée, partiellement cassée. Serait-elle romaine en rapport avec le domaine de Thoron tout proche ? c’est là qu’a été trouvée une sculpture antique de dauphins ayant pu faire partie d’une fontaine. Il est probable que plusieurs voies romaines se rejoignaient à Chateauneuf Val saint-Donat. Carte archéologique de la Gaule, Alpes de Haute Provence, Géraldine Bérard, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1997

Histoire de la voie romaine ; ancien chemin royal entre Chateauneuf et Peypin
La voie romaine entre Sisteron et Apt, Damase Arbaud, Paris, J.B. Dumoulin, 1868
Itinéraires romains en France

Le panneau d’affichage ci-contre annonce une construction prochaine : celle d’une nouvelle ferme photovoltaïque. Déjà le parc solaire des Mées, le plus grand de France, avait choqué plus d’un randonneur dans le vaste paysage de lavandes du plateau.

Une ferme photovoltaïque près du vieux village, la Provence

Bâti sur le rocher à l’extrémité Nord du village, le château occupait une surface de 30 mètres sur 17 mètres, avec un rez-de-chaussée et deux étages ; il doit dater du XVè siècle puisqu’en 1482, les consuls de Sisteron y viennent pour féliciter Raymond de Glandevès, Gouverneur de Provence, pour la naissance de son enfant. Son entrée officielle se trouve donc côté tour du moulin ; en contre-bas, là ou était la rue autrefois, une arche de pierre fragilisée par les ans, se détache de la façade : serait-ce l’entrée des écuries (photo de gauche) ?

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Chateauneuf Val Saint-Donat : une colline sous le Beau Vent de Lure


Beau Vent de Lure : un titre poétique cité dans le livre de J.L. Carribou, F.X. Emery, 15 balades littéraires à la rencontre de Giono, tome 2 montagne de Lure, le Bec en l’air, 2012. Cette dénomination aurait pu être tirée d’un livre de Giono mais non, elle provient d’une délibération du conseil municipal à l’époque de la révolution française.

Un décret de la Convention nationale du 25 janvier 1793 invitait les communes, dont le nom rappelait les idées de royauté, de féodalité ou de superstition, à changer immédiatement ce nom. […] On chercha une désignation nouvelle dans une particularité atmosphérique du pays et on remplaça le nom de Châteauneuf-Val-Saint-Donat par celui de « Beau-Vent-de-Lure »

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Deux boucles enchaînées à partir du même village : la première plutôt facile et courte, vous mènera au vieux village de Chateauneuf Val Saint-Donat dont les ruines sont visibles depuis le chemin. Ce village, comme celui de Colline et Regain, se situe au pays du vent, sur la montagne de Lure. Un retour  émouvant dans le passé.

Voilà le vent qui court. Les arbres se concertent à voix basse. Giono dans Colline

Départ sur le parking face à la mairie. Très vite, après la traversée de la D801, je me retrouve sur un chemin champêtre au pied de la colline. Il y a encore de la neige par endroits. Après avoir tourné à gauche, je passe près d’un cabanon de jardin, un puits ; le modeste jardin est clos par un petit mur coiffé de pierres dressées destiné à empêcher les chèvres de le franchir.

A 567m d’altitude, un oratoire est dédié à Saint-Antoine de Padoue tout comme l’était l’église en haut de la colline. Le chemin s’élève au milieu d’anciennes cultures ; chênes verts et genévriers oxycèdres (les cades) aux baies brunes, alternent dans la garrigue. Au panneau indiquant le vieux village, le sentier monte entre deux habitations provençales puis s’infléchit sur la gauche, sous le village. Je cherche l’église sur Saint-Antoine sur les hauteurs mais ne trouve qu’un mur en ruine.

Eloignée de 200m à l’est du reste du village, probablement complètement cachée par la végétation, elle me contraint à cheminer vers la droite dans la neige fraîche. Mon sac à dos s’accroche parfois dans les branches. Je réussis à grimper en haut d’un des murs d’où je peux voir l’intérieur et le fameux oculus dont parle l’abbé Maurel. Avec ses 18 mètres de longueur, 6,90 mètres de largeur, 12 mètres de hauteur environ, près du cimetière, elle fut sans doute église paroissiale et non simple chapelle ; sa voûte était autrefois recouverte de lauzes. Saccagée probablement pendant une incursion ennemie, elle ne fut pas réparée immédiatement, les villageois pouvant utiliser la chapelle du seigneur près du château. En 1638 cependant, Toussaint de Glandevès en visite à Chateauneuf, ordonna sa restauration,

[…] la construction d’une chaire, d’un retable, d’un tabernacle, de fonts baptismaux, la réparation de la toiture, du pavé, l’achat de divers ornements, et décida que dorénavant les droits paroissiaux seraient transférés de l’église Nostre Dame de l’Etoile à l’autre église qui est au bout du village joygnant le cimetière sous le titre Saint-Antoine.

Mais ce ne fut pas aussi facile ; au moment du transfert, en avril 1646, le rentier du seigneur s’y opposa au nom de son maître ; en 1677, le seigneur vendit son consentement en échange de 500 livres, d’une messe journalière et de deux cloches laissées dans sa chapelle. Et pourtant, en 1683, lors de la visite de l’évêque, la population se plaint que le transfert ne soit pas encore totalement effectif, même si le vicaire perpétuel avait demandé à être enseveli près de la porte de l’église, cette église qu’il considérait comme paroissiale officiellement.

De mon perchoir fort malaisé, je constate que la porte d’entrée de l’église est accessible, tout simplement ; je contourne le monument et m’y fraie un passage. Au-dessus de la porte primitivement ogivale, on lit, gravée sur la pierre, la date de 1637 qui est celle de la restauration mais non de la construction de l’édifice. Du cimetière, il ne reste rien : toutes les sépultures ont été pillées.

J’aimerais retrouver trace de cette église seigneuriale Notre Dame de l’Etoile, ancien prieuré ; enclavée entre le château et deux rues fort étroites, celle qui a concurrencé l’église Saint-Antoine (lors de la visite de l’évêque de Sisteron  en 1638, Notre Dame de l’Etoile était église paroissiale) ne pouvait être agrandie sans détruire les bûchers, caves et autres bâtiments attenant à l’église. 11,65 mètres de longueur et 5,40 mètres de largeur. Une tribune au-dessus de la porte principale, avait été construite en 1637 pour l’usage de la famille seigneuriale qui y accédait de l’avant-cour du château sans avoir besoin de descendre dans la rue ! Malheureusement je n’ai pu situer

la façade en joli appareil, l’abside en cul-de-four,  des murs latéraux avec un arc de décharge. Raymond Collier, la Haute Provence monumentale et artistique, Digne, 1986

tant la végétation en cache les vestiges. Quant au château, que j’ai observé en détail lors de ma rando depuis Aubignosc, je vous en parlerai dans un prochain article.

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