Le sommet de Vaumuse


En se rendant au pont de la Reine Jeanne, on sent très vite qu’on va arriver dans un endroit particulièrement reculé et sauvage. Cet ouvrage du XIVè siècle serait daté plutôt du XVIIè selon l’ouvrage D’une rive à l’autre, les ponts de Haute-Provence de l’antiquité à nos jours, P. Auran, G. Barruol, J. Ursch, Alpes de Lumière, 2006. Il enjambe les eaux vertes du Vançon au fond d’un vallon étroit et boisé, dans le pays sisteronais. La route finit là, barrée au pied d’une falaise chancelante. Le pont à arche unique, en dos d’âne aigu dix mètres au dessus du Vançon, fermé à la circulation automobile (la chaussée ne mesure que 2m17 de large), mène au village abandonné de Saint-Symphorien  (commune d’Entrepierres), notre première étape. C’est plein d’entrain que nous y montons.

Jeanne est née en 1326. Très tôt orpheline c’est son grand-père, Robert, Roi de Naples et Comte de Provence, qui l’élève. Pour des raisons stratégiques et sauvegarder les titres de Jeanne, son grand-père la promet en mariage à son cousin, André de Hongrie, garçon malingre et pâlichon, alors qu’elle n’à que 6 ans. Jeanne est éduquée par son grand-père qui s’entoure de gens de lettres, de troubadours, d’artistes.
Quand André de Hongrie se présente quelques années plus tard, Jeanne reste pétrifiée. L’homme est rustre, mal fait, maladroit. La mort du grand-père de Jeanne précipite le mariage qui a lieu le jour de l’enterrement de l’aïeul.
Les parents d’André de Hongrie revendiquent pour leur fils, les titres de la Reine Jeanne. Peu après, on trouve André de Hongrie étranglé avec une corde. La Reine Jeanne clame son innocence. Elle est menacée par le frère, Louis de Hongrie et les Siciliens.
D’après le résumé du livre La Reine Jeanne de Naples et de Provence – histoire et légendesLouise MichelEditions Tac Motifs, mars 2003, résumé rédigé par Fanette sur le site Marseille forum

La tradition raconte qu’elle s’est alors réfugiée à Saint-Symphorien (1345). Cette Reine a connu la richesse et la pauvreté, la puissance et la trahison, la générosité et la haine et a sans doute fasciné beaucoup de monde. De nombreux lieux portent son nom un peu partout en Provence : dans mon blog, quatre articles l’évoquent.

Les rues du village abandonné de Saint-Symphorien par le dernier habitant en 1976, sont désertes mais ses ruines restaurées nous rappellent le passé actif de la vallée. En 70 ans, la commune a perdu plus de 100 habitants entre 1836 (197 habitants) et 1906 (58). La forêt omniprésente renforce cette impression d’isolement.

Nous commençons notre randonnée par une piste forestière qui monte, très doucement. A force de discuter, nous ratons le carrefour avec le PR : nous voilà embarqués sur une piste sinueuse qui rallongera notre randonnée ; étonnés de trouver une source temporaire sur la carte IGN, je vérifie sur le cadastre napoléonien pourquoi elle a été captée ici ; une ancienne habitation ‘Payan’ dans le quartier Eymar et Cambe existait encore en 1836. Peut-être s’agit-il de Jean Payan mort en 1851 à Saint-Symphorien.

Le gué bétonné s’est écroulé, preuve que la rivière maigrelette d’aujourd’hui doit parfois s’écouler avec violence ; nous rejoignons le PR, au champ de la Plate facilement repérable par son impluvium et la plate-forme dégagée sur le sommet de Vaumuse, les gorges de Vançon et les cicatrices de l’érosion. Les chasseurs venus de Sourribes, seuls autorisés à emprunter la piste en voiture, se garent là. Commence la partie fatigante : une montée continue, très longue, plus de 500m de dénivelée pour atteindre la crête, sur des chemins de petits galets roulants, en sous-bois. Depuis le champ de la PlateNotre vitesse moyenne ne dépassera pas les 1 à 2 km/h. Deux chasseurs nous signalent la présence de mouflons ; pas étonnant car ils trouvent ici tout ce qu’ils aiment : fougères, champignons, mousses et lichens, feuilles d’arbustes et de buissons. On se souviendra du sentier des quatre-vingt vautes1 dont le tracé ressemble à des dents de scie !

Déserté, le terroir se vida un siècle durant. Il fut repeuplé en 1504 par le seigneur local qui passa un acte de bail avec des familles venues d’ailleurs. Elles construisirent leurs maisons au carrefour de divers chemins, dont celui des quatre-vingts-vautes1 qui franchit sa crête orientale. Extrait du site Pays sisteronais Buëch

Nous ne sommes pas encore au point culminant ; le chemin de crête chemine entre deux rangées de bois jusqu’au sommet de Vaumuse repéré par une vieille croix de bois planté dans un tas de galets. Fiers d’avoir atteint les 1435m de ce sommet, nous nous offrons un moment de repos face à la vallée de Thoard. Je reconnais même le pic d’Oise, cône régulier près de Digne-les-Bains, qui établit une articulation visuelle entre la basse vallée de la Bléone et la vallée des Duyes. De l’est à l’ouest, du nord au sud, Vaumuse marque le passage entre la Provence et les Alpes, l’étage de l’entre-deux, premier contrefort des Alpes.
Urbanisme et géomorphologie

 

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Le Prieuré de Sainte-Victoire par le pas de l’Escalette


Les deux présidents se sont mis d’accord : Marc, président de l’association des Amis de Sainte-Victoire et Franck, celui de l’Amicale des personnels du rectorat ; 15 personnes et un infatigable labrador partiront du parking du plan d’en’Chois1, se sépareront peu après le refuge Cézanne : les plus téméraires prendront le sentier jaune par le pas de la Savonnette… qui porte bien son nom (Voir la vidéo sur Carnets de rando, à partir de 2’50), l’autre groupe prendra le sentier à pointillés rouges par le pas de l’Escalette2. Nous nous retrouverons tous au Prieuré pour une visite guidée offerte par Marc Roussel. Lien vers toutes les photos de la randonnée

Le refuge Cézanne et le rocher en équilibre au-dessus de la chapelle du Trou
Une maison restaurée au hameau du Trou

Le départ a lieu à l’heure, vers 9h. De là, nous avons déjà une des vues les plus spectaculaires sur la montagne. Jusqu’au refuge Cézanne, le rythme est plutôt soutenu ; nous passons devant les champs d’oliviers plantés par le conseil général. Première pause au hameau du Trou déserté depuis 1850 environ. Le conseil général a restauré la maison avec le four, réussi à conserver la voûte de l’ancienne chapelle de l’ermitage et nettoyé l’aire à battre qui appartenait en indivision à l’ensemble des habitants du hameau. Le puits n’a pas été sondé. Tout le monde étant pressé de repartir, nous commençons la montée.

Le Bau Rouge et les Costes Chaudes

Du pas des dinosaures (504m), le rocher du Trou, isolé au milieu du hameau, apparaît bien incongru. Les Roques-Hautes déploient leur charnière rocheuse. La façade du Bau Roux dévoile un peu des Costes-Chaudes et leurs plis en éventail (‘blague à tabac’) dus à un  resserrement suivi d’un écartement des plis. La nature du sentier se révèle maintenant : des dalles inclinées couvertes de petits cailloux, la chasse aux petits ronds rouges pour trouver le meilleur endroit pour placer les pieds. Alors que certains pensent déjà à la difficulté de la descente, un groupe de coureurs de trail dévalent la pente sans même y penser. Nous les félicitons. Attention ! Juste avant de déboucher sur la crête, un petit écart sur la droite évitera le passage délicat de ce ressaut rocheux.

Actualités 2016 du Grand Site Sainte-Victoire : l’érosion du sentier rendait la dalle dangereuse et difficile d’accès. Des marches taillées dans la dalle orientent les randonneurs sur le tracé rendu plus praticable. Des ganivelles et des branchages de pins récupérés sur un chantier de coupe entravent l’accès aux zones périphériques ce qui permettra à la végétation de se réinstaller. Un chantier de sécurité et de confort au pas de l’Escalette

Maintenant nous retrouvons le sentier bleu, dit sentier Imoucha, du nom du fondateur de l’association des Amis de Sainte-Victoire. Commence alors un long passage sur l’épine dorsale de la montagne, sur des strates, des aiguilles rocheuses, où il faut continuellement faire attention où l’on met les pieds. Nous jouissons d’une vue panoramique des deux côtés de la montagne : avec sa couleur émeraude, le lac de Bimont ne peut passer inaperçu. Nous passons au Pas du moine, repéré par un gros cairn, arrivée du sentier difficile par le Pas du Berger.

Le lac de Bimont depuis le cloitre

Nous croisons les élèves du lycée militaire, drapeau en avant, qui redescendent après avoir déposé les bouteilles d’eau qu’ils amènent aux Amis de Sainte-Victoire. Ils courent plus qu’ils ne marchent, ils chantent. C’est un véritable défilé dans les deux sens ! Le croisement avec le sentier des Venturiers signe la fin de ces difficultés particulières. Il ne reste que quelques minutes pour atteindre le Prieuré avec le piège de quelques rochers patinés et brillants à éviter.

Visite guidée avec le Président de l'association les Amis de Sainte-Victoire
Visite guidée avec le Président de l’association les Amis de Sainte-Victoire
Visite guidée
Visite guidée

Le Président des Amis de Sainte-Victoire, qui a hissé le drapeau provençal, attend le second groupe de l’amicale dont les membres sont fiers d’être arrivés à maîtriser le Pas de la Savonnette. Nous apprenons que c’est l’abbé Aubert qui construira l’ensemble des bâtiments, sur au moins 10 ans, grâce à Honoré Lambert, son mécène, d’ailleurs enterré ici, ainsi que la mère de Jean Aubert, Isabeau Pastoure. Nous nous posons beaucoup de questions sur l’ancienne terrasse : Marc dessine alors sur une feuille de cahier comment il conçoit la construction posée sur des arches. Il nous montre les traces de barre à mine dans le rocher ainsi que la saillie de la terrasse du XVIIè.

La fosse et l'escalier qui mène au jardin des moines
La fosse et l’escalier qui mène au jardin des moines
Face sud côté parapet du Prieuré
Face sud côté parapet du Prieuré

La fosse, complètement vidée des détritus déposés au cours des siècles, laisse entrevoir un orifice lumineux par lequel se faisait l’accès au jardin des moines, côté sud. Les marches d’escalier utilisées par les moines pour le rejoindre sont maintenant dégagées. En regardant le jardin par dessus le parapet, on se demande comment on pouvait cultiver quelque chose dans cet endroit aride et pentu, délimité par deux parois rocheuses. Marc décline tous les sommets visibles depuis cet endroit. Continuer la lecture de Le Prieuré de Sainte-Victoire par le pas de l’Escalette

Castrum de Pibresson, village perdu de Velnasque


C‘est Mathieu, geocacheur des Alpes-Maritimes, qui m’a parlé de ce village abandonné peu connu des randonneurs. Dès que j’en ai eu la possibilité, je suis partie vers Callian-Tourrettes pour le découvrir. Ne pas confondre Tourrettes sur Loup (06) et Tourrettes les Fayence (83) ; ne pas confondre Vénasque, commune du Vaucluse et Velnasque, lieu-dit du Var.

Le plus bizarre, c’est quand j’ai voulu me renseigner davantage ; sur la carte de Cassini figure Pibresson mais pas Velnasque ; les textes du XVIIIè évoquent le castellum1 de Velnasque et le castrum1 de Pibresson comme étant deux arrières-fiefs du seigneur de Trans. Bulletin de la Société d’études scientifiques et archéologiques de la ville de Draguignan, Société d’études scientifiques et archéologiques de Draguignan et du Var, 1870-1871-T8 ou Description historique du diocèse de Fréjus / manuscrits de Girardin et d’Antelmy, abbé J.-B. Disdier, Girardin, Jacques-Félix, Antelmy, Joseph, C. et A. Latil (Draguignan), 1872  ; le Castrum de Podio Brissono est une terre de deux lieues de longueur, couverte de forêts, avec une chapelle, une tour de gué et des remparts. De nos jours, sur internet, Velnasque et Puy-Bresson désignent souvent le même lieu… par exemple dans Notice patrimages, VELNASQUE Castrum de Pibresson ou Puybresson, 13-14e.

Histoire de Tourrettes, site de la commune

Pour notre visite, peu importe ces doutes historiques. Je me gare sur le seul emplacement disponible sur la D256 qui va vers Callian et qui est proche du sentier. Aucune indication au départ. Le sentier monte sur une piste classique sans difficulté particulière ; on laisse sur la gauche un sentier à l’entrée duquel la FFR a laissé l’image d’une modification d’itinéraire ; au carrefour suivant, un étroit sentier sinue en forêt. De façon à ménager la surprise, je ne regarde pas mon GPS malgré différentes sentes trompeuses. Et le plus incroyable, c’est que dans un premier temps, j’ai réussi à passer à côté du village, sans le voir ! Mais après que j’ai repéré le premier mur ruiné, c’est tout le castrum de Pibresson qui s’est offert à mes yeux ébahis ; pantalons longs préférables sinon vous ressortirez griffé ; le risque de chutes de pierre est réel ; mieux vaut ne pas craindre les situations plus ou moins acrobatiques.

Un mur d'enceinteC’est le donjon  du moyen-âge qui me surprend d’abord : de hauts murs épais, une fenêtre qui a été bouchée (il devait donc y avoir un étage), la porte d’entrée désormais inaccessible. Quand je passe derrière la tour, je découvre un long mur d’enceinte de hauteur impressionnante, toujours debout. Plusieurs maisons sont encore reconnaissables. Je suppose que ce castrum a été anéanti durant les guerres de religion, vers 1590.

Je cherche maintenant la chapelle Saint-Philippe et Saint-Jacques, qui faisait partie d’un prieuré, selon l’inventaire du diocèse de Fréjus établi au XVIIè par l’abbé Antelmy. C’est là que la cache Village perdu de la Velnasque par valloo prend tout son intérêt. Autour de la porte, des pierres finement taillées sont posées sur de beaux lits réguliers alors qu’au delà le travail est plus grossier. Les chemins médiévaux – le Var, Alain Raynaud, Editions de la Renaudie, 2005. A l’intérieur, plus de voûte mais demeure le chœur en cul de four dangereusement fissuré sur presque toute sa hauteur.
Il me faut ici remercier chaleureusement A. Raynaud des éditions de la Renaudie2, qui a accepté de me transmettre quelques informations et les nombreuses sources  qu’il a consultées ; sa rigueur et son honnêteté intellectuelles, si souvent absentes sur internet, méritent d’être soulignées : Velnasque et Pibresson ont bien existé. Il me rapporte la conclusion de J.-C. Poteur, chargé de mission au patrimoine du CG 06 :

La localisation des sites de Valnasque et de Puybresson a posé des problèmes. Les cartes IGN et autres ignorent Valnasque et attribuent ce toponyme à Puybresson. C’est Madame CHICHE qui, au moyen de cartes anciennes et des titulaires d’églises, a rectifié l’identification de ces monuments.

Le seigneur de Trans [ndlr : de Pibresson, de Valnasque, Montferrat, Chateaudouble, Brunet] Louis Henry de Villeneuve, qui longtemps avait été en conflit avec la communauté, donna sa démission du grade de colonel et tenta de vivre en paix avec ses sujets. Pour preuve, quand la communauté chercha à installer l’écusson représentant les armes du Roy au fronton de l’hôtel de ville, le seigneur de Trans chercha lui-même l’artiste (Carriol, sculpteur) et surveilla l’exécution des travaux (1778). La photo de l’hôtel de ville actuel me laisse penser que cet écusson est toujours en place. Il est mort sur l’échafaud en 1793.

Cette petite balade vaut le déplacement : c’est tout un village à fort intérêt historique que vous allez découvrir et pas seulement quelques maisons. Quasiment invisible sur la photo aérienne, je ne l’aurais jamais découvert sans le geocaching. Merci valloo.

Itinéraire 4km700, 1h15 déplacement (+1h pour la visite), 205m dénivelée

1castrum : c’est un des mots avec castellum pour désigner le château. En Provence à partir du XIIe, le mot qualitie l’ensemble de l’habitat fortifié : château et village accolé
2Le Var, itinéraires découvertes, a été réédité en 2012 et contient une description de ‘la porte de Puy Bresson’