Salin de Giraud, des corons aux marais salants


Salin de Giraud (2000 habitants environ), rattachée à Arles qui se trouve à 40 km de là ; pour y aller, soit vous passez par Arles (1h25, 112 km depuis Aix), soit vous prenez le bac de Barcarin (1h45, 88 km) ; ce que l’on ne consomme pas en essence, on le met dans le bac (6€ pour les voitures en 2020, gratuit pour les piétons) qui fonctionne en permanence la semaine, dans la journée. Impossible de faire des photos depuis l’extérieur ; à cause de la covid, nous sommes tenus de rester dans la voiture. Le temps est plutôt gris et incertain. Je vous mets la météo de Port-Saint-Louis-du-Rhône, plus proche de la réalité que celle d’Arles.

La météo ce jour à cet endroit :
Avec le vent et la température ressentie

Je me gare en face de l’office du tourisme et demande un dépliant contenant la visite de la ville ; celui que j’ai vu sur internet n’est pas disponible sous forme papier. C’est bon à savoir. Quand on regarde la carte de Cassini (1770) il n’y a rien à l’emplacement du village ; je vous ai mis par transparence et encadré de rouge le village actuel : on ne voit que l’étang et quelques maisons isolées (Faraman, Paulet), le canal du Japon, le Vieux Rhône, l’étang de Giraud. Ce n’est qu’en 1855 que l’entrepreneur Henri Merle transforme l’étang en salin pour fournir en sel son usine de soude dans le Gard. Fin XIXe naissent deux cités ouvrières, la Péchiney et la Solvay.

Une aventure industrielle en Camargue : histoire de l’établissement Solvay de Salin-de-Giraud : 1895 à nos jours, Xavier Daumalin, Olivier Lambert, Philippe Mioche, Collection Terres d’industrie, REF.2C, 23/11/2012

Une cité industrielle en Camargue. Salin-de-Giraud, Durousseau Thierry, Marseille, Éditions Parenthèses, 2011

Je vais d’abord visiter le village ; cela commence par la sculpture en hommage aux 20000 travailleurs vietnamiens réquisitionnés entre 1939 et 1952.
Site Mémoires d’Indochine

Au moment de l’armistice seuls 4000 d’entre eux rentrent chez eux. Certains participent au lancement de la culture du riz en Camargue. Arrachés brutalement à leurs terres et leur famille, ils ont eu à subir la discipline militaire dure et arbitraire et peu de salaire individuel (ils sont payés 50 fois moins que les jeunes français de 14 ans débutant dans la même compagnie). Un millier d’entre eux, malade ou marié à une française, est resté sur place..

L’Empire, L’Usine Et L’Amour. « Travailleurs Indochinois » En France et en Lorraine (1939-2019), Daum, Tran, Manceron, Créaphis, 2019

Le 5 mai 2020 à 16h30, ARTE a diffusé un documentaire de 15 minutes qui raconte l’utilisation des « travailleurs indochinois » dans la relance de la riziculture en Camargue.
Le riz, grain de folie camarguais (vidéo dans laquelle vous verrez Pierre Daum, l’auteur du livre ci-dessus)

Pas de commune en Camargue sans arènes, même si Salin de Giraud n’est pas une commune à part entière : au dessus de la porte, un fronton surbaissé et mouluré. Avant d’arriver au rond-point Charles de Gaulle, je traverse le jardin dans lequel le traditionnel monument aux morts affiche la longue liste des noms des saliniers morts pour la France.
Est-ce un ancien poids public ? au sol, on voit encore la bascule. Pour les transactions commerciales des marchandises (animaux, ou tout autre chargement), il était nécessaire d’en peser le poids afin de les vendre. Les chargements étaient ainsi soumis à une taxe ou un droit de pesage, variable en fonction de leur type et de leur poids.

 

Je prends le boulevard de Camargue qui passe devant l’église et le kiosque où se déroulaient les bals autrefois. La statue d’Adrien Badin, directeur adjoint de Pechiney, rappelle que l’industriel ne s’est pas intéressé qu’à l’aluminium. Dès le début de la guerre de 1914 – 1918, la Compagnie d’Alais et de la Camargue fut comprise dans la mobilisation industrielle ; c’est ainsi que l’usine de Salindres fabrique à Salin de Giraud du phénol destiné à la production de mélinite, un explosif. Biographie de Badin par l’association pour la recherche et l’étude de l’histoire industrielle de Salindres
Sous l’impulsion d’Adrien Badin, on peut mesurer l’expansion de la Compagnie des Produits Chimiques d’Alais et de la Camargue (C.P.A.C.) : à son arrivée en 1900 dans la Socièté, il y avait 3 usines employant 1 200 personnes. A sa mort en 1917, cette même société comptait 15 usines et 12 000 employés.

Face à un hangar des Salins du Midi, un vestige de l’ancienne voie ferrée spéciale se dirige vers l’est où se trouvait le bac à wagons sur la digue du Rhône, et rapidement se perd dans la nature.

Demi tour jusqu’au boulevard de Kalymnos ; de nombreux grecs venant de cette île sont venus travailler pour les usines Solvay, qui exploitent le sel pour produire du carbonate de soude entrant dans la fabrication du savon de Marseille. En effet, les français sont au front.
L’église orthodoxe, blanche au toit bleu,  se prolonge par un kiosque blanc ouvert de tous côtés. Regardez bien l’église : c’est un ancien hangar, comme ceux que je peux voir derrière. Abandonnés, ils ont été construits pendant la Première Guerre mondiale pour fabriquer et tester le terrible gaz moutarde. Plus tard, ils sont transformés en hébergement pour des travailleurs indochinois. Carnet balade urbaine
L’église est construite en 1952 et la Compagnie des Salins du Midi en fera don à la Métropole grecque orthodoxe de France, en 2009.

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Du château de la Barben à la chapelle de Sufferchoix


Juin 2021 : le parking ci-dessous est désormais privé (propriété du nouvel acquéreur du château et du spectacle Rocher Mistral) ; se garer sur le parking du zoo

Départ du parking près du château de La Barben, château que je n’ai jamais visité, me contentant d’un arrêt au zoo juste avant. Le parking du départ de la randonnée se trouve après le zoo et le pont du château sur la Touloubre ; quand j’y suis retournée deux semaines plus tard, le parking était marqué ‘privé’. Ce changement précède sans doute les travaux d’aménagement pour le projet de parc d’attractions ‘le Rocher Mistral’. Le nouveau propriétaire Vianney d’Alançon compte développer des spectacles vivants inspirés de l’histoire du site et d’œuvres d’écrivains et poètes comme Frédéric Mistral, Alphonse Daudet, Jean Giono, Marcel Pagnol. Comme au Puy du Fou, il fera appel à des bénévoles pour les spectacles.

Projet Rocher Mistral sur le journal 20-minutes

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Notre randonnée débute le long du Lavaldenan, une rivière bordée de hauts arbres garantissant la fraicheur ; les abords sont dominés par les classiques chênes pubescents et chênes verts mais plutôt de grande taille. En 1813, le Lavaldenan s’appelait le Vabre : comment est-on passé de l’un à l’autre ? A mi-distance entre deux boucles de la rivière, une petite mais massive construction carrée attise notre curiosité. Ce pourrait être un abri  rustique pour garde assermenté – il en existe encore un à la Barben ou un poste de chasse.

La montée jusqu’au quartier de l’Homme Mort commence raide sur le rocher ; au premier carrefour de pistes, nous continuons vers le nord puis, sur le plateau, en sous-bois, nous prenons le sentier sous la chapelle de Sufferchoix, notre objectif. Bien avant de la voir en grand, on reconnait au loin sa forme ronde et son clocher en forme de pyramide. Dans cet endroit bien isolé, curieuse découverte que cette chapelle moderne, construite sur une butte, dans une ancienne propriété rurale ;  c’est une propriété privée mais toutefois l’autorisation de visiter la chapelle est accordée facilement auprès de la direction .

Selon les périodes, sur les cartes, j’ai trouvé Sufrechon, Sufrachoix ou Sufrechoix, Sufrechoy, Sufferchoix. Peut-on rapprocher ce toponyme du provençal soufrachou (=souffreteux) ou du bailli de Suffren, né dans la commune limitrophe de Saint-Cannat ? au début du XIXe cet ancien domaine rural appartenait à la famille d’André Balthasard Ricard ; à sa mort, le domaine est démantelé entre tous les héritiers (Jérôme, Gilles, Adélaïde fille de Gilles, Louis, Gaspard, André, Jean-Baptiste) ; Gaspard obtient le premier étage d’une maison, Jérôme l’étage d’une seconde, Gilles les deux étages d’une troisième. A côté du bâtiment rural, l’écurie, à côté d’un autre une cour murée et un four qui, d’après le plan, devait se trouver dans la tour ronde devenue pigeonnier. Dans ce contexte le domaine ne pouvait garder longtemps sa vocation agricole.
Depuis 1980, c’est le Foyer de Charité de Marseille qui s’y est installé ; de nombreuses constructions autour du noyau ancien ont transformé le domaine rural en lieu de retraite spirituelle, éloignée de la civilisation et dans le calme de la nature environnante.

La mission principale des Foyers de Charité est de participer à la nouvelle évangélisation par la prédication de retraites spirituelles ouvertes à tous.

Les foyers de la charité au bord de l’implosion

[L’oratoire de la Vierge Marie] date de 1986 et se situe à Sufferchoix. Il fut dessiné par Pierre Gazhanes, construit par Jean Boyer et quelques bénévoles des Amis du Vieux Lambesc. Fait de pierres sèches, sa toiture ressemble à un ancien four à pain. Route des oratoires. Juste en face de l’oratoire sur la petite route allant vers Lambesc se trouve un ancien puits dont l’eau alimente toujours le foyer… Manou a trouvé un ancien rouleau servant à dépiquer1 le grain, bien loin de l’aire de battage qui se trouvait derrière la chapelle. Photos dans la bulle de Manou

Autour de la maison, une vaste étendue de pinèdes et de garrigue offre de nombreux sentiers pour la promenade ou la détente, dans un calme absolu… sauf quand passe le TGV, 20 m en dessous du foyer.

Pour le retour, André propose un sentier qui passe sur l’ancien domaine de chasse des seigneurs de Forbin.

Ils sont propriétaires du château de la Barben depuis le XVe siècle. C’est la femme de Claude Melchior de Forbin la Barben – pour un mariage de raison, il était allé la chercher dans les Alpes-Maritimes – qui hérite des terres en 1854 : elle s’appelait Marie Pauline Véronique du Creps de Saint-Césaire (cadastre napoléonien état de section B). Généalogie de la famille Forbin.

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** La chapelle Saint-Pons depuis Valbelle


Je me suis laissée embarquer jusqu’à Valbelle (04) dans la vallée du Jabron, non loin de Sisteron ; ce n’est que le matin avant de partir que j’ai regardé quelques photos sur internet et commencé à avoir peur. La randonnée, même si l’on ne va pas au-delà de la chapelle par la vire étroite qui contourne la falaise, me semblait difficile. Trop tard pour reculer…

L’album partagé, l’album de Yves Provence (2012)

Nous partons du hameau des Richaud, où un parking est prévu. C’est André qui nous guide. Petit coup d’œil à la fontaine de 1819, portant au-dessus la date de 1928 (restauration ?) et à gauche une bibliothèque de rue. L’eau de la fontaine était-elle alimentée par la rivière Biaysse qui donnait des pouvoirs de sorcier aux villageois ?…

La météo ce jour à cet endroit :
Avec le vent et la température ressentie

Selon l’abbé J-.J.-M. Féraud, Histoire, géographie et statistiques du département des Basses-Alpes, Digne, 1861), les gens de la Tour (la Tour, nom du village avant 1650), hameau au nord des Richaud, sont surnommés sourcié.

A Valbelle, tout le monde était plus ou moins sorcier […] il suffisait, pour le devenir, de boire l’eau de Biaysse, belle source qui coule dans le pays. […] cette fontaine doit sa réputation aux sorciers beaucoup plus que ceux-ci ne lui doivent leur pouvoir. Annales des Basses-Alpes : bulletin de la Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes : essai de folklore bas-alpin : quelques légendes (suite et fin), Société scientifique et littéraire des Alpes-de-Haute-Provence, T. XIII, 1907-1908

Selon Victor Lieutaud, Les faux témoins de Manosque et les sobriquets topographiques bas-alpins : 9 novembre 1616 [thèse universitaire 1905], ceux de Valbelle sont des cuou rasa : ne me demandez pas pourquoi !

La lucarne d’envol du pigeonnier est intégrée dans le mur de l’habitation, et entourée de carreaux vernissés colorés pour empêcher les rongeurs d’y pénétrer. La tour de l’Horloge ressemble plus à une maison qu’à un bâtiment public. Bientôt le chemin de Marguerite passe dans les champs et la montagne de Lure apparait entre deux montagnes : celle de gauche abrite la chapelle que l’on ne voit pas encore. Nous n’avons pas vu l’oratoire Sainte-Marguerite : dommage car il aurait pu servir de point de repère : 80m après, il faut continuer tout droit et trouver la source captée.
Après le lit d’un ruisseau à sec, nous trouvons les murs d’une cabane à côté d’un champ ; nous obliquons légèrement à droite jusqu’à un cairn de 3 pierres mais le sentier prévu n’existe plus ; après plusieurs minutes de recherche dans le sous-bois sous lequel nous captons mal, nous renonçons pour suivre l’autre. Il mène à un puits et un long abreuvoir puis rejoins, raide, le sentier par lequel nous aurions pu arriver plus rapidement. Croisement avec le GR6.

Aussitôt nous suivons le PR Chapelle Saint-Pons (balisage jaune) ; PR=PRomenade ou Petite Randonnée ; ne vous y fiez pas, c’est un peu plus que cela. Sentier de plus en plus raide, de plus en plus étroit, côtoyant le vide et parfois glissant. A l’altitude 747, il est possible d’apercevoir la chapelle, presque 200m au dessus de la tête ; elle est collée à la paroi rocheuse et semble nous narguer, tant elle paraît proche et pourtant, pendant un long moment encore, inaccessible. Ce n’est qu’à la dernière minute qu’on découvre un étroit escalier de pierre puis le passage par un pont suspendu sur une faille.

… l’abside en cul-de-four et le chevet  […] sont en petit appareil assez régulier ; ce caractère joint aux impostes de l’abside, à méplat soutenu par un chanfrein en forme de cartouche curviligne, incitent à placer à la fin du XIe siècle cette partie de l’édifice. Raymond Collier, La Haute-Provence monumentale et artistique, Digne, 1986

Ce petit sanctuaire rupestre nous reporte à l’aube du christianisme. La chapelle est bâtie partiellement sous un surplomb rocheux qui la protège. L’abside a conservé une couverture de lauzes.

Nous posons les sacs à dos à l’intérieur, près des quelques marches et du bénitier quadrangulaire. Si ce bénitier est bien  un cippe1 renversé (selon la Carte archéologique de la Gaule), la chapelle aurait été bâtie sur un site paléochrétien du Ve siècle.
Au fond de l’abside, sous une ouverture, un autel est constitué par un parallélépipède maçonné. Le petit autel moderne placé devant, ne cadre par avec les lieux. Sur le cahier qui s’y trouve, je laisserai la trace de notre passage.
Au sud de la nef se trouvent une porte et deux fenêtres à claire-voie au travers desquelles on voit les strates de la roche et le travail de la tectonique.

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