Voilà une randonnée que j’ai ‘inventée’ pour mélanger histoire et nature ; non balisée, je me doutais qu’elle pourrait réserver quelques surprises. Mais ça valait la peine d’essayer. Je me suis garée à côté de l’usine hydroélectrique de Saint-Estève-Janson, deuxième aménagement hydroélectrique de la Basse-Durance qui utilise les eaux turbinées de Jouques par un canal de 27km.
Je remonte la route D561, tourne en direction de Tournebride en circulant parallèlement au canal de Marseille. Au loin, j’aperçois la tour du vieux château de Janson que je visiterai tout à l’heure. Je rencontre plusieurs fois des passages barrés par de grosses pierres équarries mais il n’y avait pas d’interdiction pour les piétons. J’ai donc continué bien qu’ayant quitté la route prévue : je vérifierai régulièrement le maintien de ma direction ; un balisage d’un vert fade est apparu une ou deux fois puis plus rien.
Le sentier étant assez évident, j’ai continué ; plutôt étroit et mystérieux, il a longé pendant un certain temps les ruines de l’ancien déversoir1 de Poncerot du canal de Marseille : le canal d’introduction puis le canal de ceinture délimite un large bassin.
Un déversoir d’une superficie de 32 m sur 25 m de long, recevait le trop plein des eaux de pluie amenées dans le vallon. la construction, en 1864, des canaux latéraux, la rive gauche, portant 81 vane(tte)s [petites vannes] de 0 m 40 de largeur, et l’autre, rive droite, 72 vane(tte)s du même modèle, permirent le nettoyage automatique du bassin par chasses d’eau, avec un débit de 500 litres secondes. Vers 1885 un accident grave vint interrompre le fonctionnement du bassin : la vase obstrua les orifices du tuyau de vidange ; aucun écoulement ne put se produire dans le bassin dégrossisseur ; la différence de niveau provoqua la rupture de ce mur qui n’était pas construit pour supporter une telle pression. Extrait de le canal de Marseille au fil de l’eau, Ponserot
Le sentier se rétrécit, passe non loin de petites falaises, zigzague dans le fond d’un ruisseau à sec, s’en écarte, y revient, traverse d’anciennes terres agricoles par des chemins d’exploitation : un côté sauvage bien sympathique.
J’atteins enfin les ruines de Ponserot dont une énorme ferme. Je tombe à nouveau sur des installations bétonnées qui devaient appartenir au canal de Marseille mais dont j’ignore la fonction. La piste est maintenant large et rejoins le bassin de décantation de Saint-Christophe par un chemin en cours de débroussaillage qui sent bon le bois coupé.
Je traverse prudemment la route (que de circulation !) pour longer le bassin ; un groupe de touristes m’interpelle pour une photo de groupe. Je dois rejoindre le pont de Cadenet et ce ne sera pas facile de couper le flot de voitures plusieurs fois.
Le pilier de l’ancien pont suspendu (1838) est encore visible, l’un des nombreux ponts du genre construits sur la Durance. Après le pont, un sentier tourne à droite le long du canal ; une jolie propriété s’annonce par un pilier sculpté et daté. Je continue entre le canal et la Durance qui se montre de temps en temps. Parfois le sol est limoneux, parfois couvert de galets, ceux qu’a laissé la Durance autrefois, à l’époque de ses crues dévastatrices. La piste plate est agréable et fleurie.
Quand j’identifie le puits, je devine que je ne suis pas loin du château mais je préfère découvrir d’abord l’environnement en suivant au hasard d’étroites sentes ; l’une d’elle mène au bord de l’eau où s’est installé un pêcheur ; une autre mène à une falaise rocheuse que l’on ne s’attend pas à trouver ici. Je ne vois le château qu’une fois à 20m à peine, au travers des arbres : un long et haut mur de pierres porte la trace d’un ancien escalier de pierre, une tour ronde.
Je grimpe au niveau supérieur d’où je peux voir les différentes pièces du château. Lorsque les murs d’un château présente une assez forte épaisseur, on réserve des bancs en pierre dans les ébrasements, à l’intérieur des fenêtres : j’en devine un ici.
Je me tourne alors vers le vestige de cette ‘tour‘ que je voyais au loin tout à l’heure. Je me pose pas mal de questions sur celle-ci, fortement remaniée. N’étant pas spécialiste des fortifications des portes au moyen-âge, je ne peux qu’émettre des hypothèses. Plusieurs indices m’ont d’abord fait penser à un système défensif de porte du moyen-âge avec pont-levis à flèche et à chaîne introduit en France durant la seconde moitié du XIVè : la grande hauteur de celle-ci, les saignées de chaque côté (pour recevoir la flèche2 ?), l’ouverture interne à l’intérieur du couloir (assommoir3 ?),
l’ouverture externe (bretêche4 ?) mais d’autres indices l’ont contredit : les trous de boulins visibles à deux niveaux (construction à deux étages), des amorces de voûtes sur le côté droit qui devaient assurer la jonction avec le reste du château, des murs droits en avant de la ‘tour’ militent en faveur d’une pièce d’habitation avec cheminée à chaque étage ; et que dire des pierres différentes de celles du château qui font penser à une construction indépendante… qui ne figure pas sur le cadastre napoléonien ? Fortification des portes au moyen-âge, Jean Mesqui
C’est bob_13 qui m’a donné envie d’aller là-bas grâce à la cache qu’il a placée Le château de Saint-Estève Janson. Comme souvent quand je suis captivée, je n’ai plus pensé à chercher la cache mais comme je dois y retourner…
Sur le cadastre napoléonien, on trouve quelques détails historiques intéressants comme les quatre longues digues perpendiculaires que l’on a construit pour repousser le courant (digues des bergers, du moulin, de Lagarde et des Limites. Budget annuel 10000F), ou l’endroit où habitait le ménage gardien du château, la parcelle contenant un mûrier, l’aire de battage, la chapelle Saint-Estève, la ligne de francs-bords5.
L’hypothèse d’un poste de péage sur la Durance à l’endroit de la porte m’ayant été soufflée, j’ai effectué quelques recherches.
- L’inventaire du bac de Cadenet en 1492 signale deux ports : du côté de Janson, un bateau avec sa traille6 vieille, deux tabliers d’abordage neufs, une cabane couverte de branches de peu de valeur. Au port se trouvant du côté du territoire de Cadenet : deux chèvres7 appelées rames. De même un bateau avec sa traille6 quasiment neuve… De même deux tabliers d’abordage bons et neufs.
- En 1525, deux ports sont toujours signalés (AD Vaucluse 3E56/476 fo 250).
- En 1796, le petit et le grand port sont séparés d’une centaine de mètres, le grand port ne fonctionnant que lorsqu’il y a suffisamment d’eau.
De l’originalité des bacs de la Durance, Lonchambon Catherine, In: Médiévales, N°36, 1999. La Durance de long en large, Guy Barruol, Denis Furestier, Catherine Lonchambon, Cécile Miramont, Les Alpes de Lumière, 2005.
Il y avait donc bien une zone effective de traversée du bac à Janson dépendant de la châtellenie de Cadenet. La présence de berges rocheuses avait pour avantage de faciliter l’ancrage de la traille. Selon moi, en hauteur sur le rocher, ce ne peut-être ni un poste de péage, ni un bâtiment d’octroi qui serait situé en limite de commune.
En savoir plus sur les bacs Traverser la Durance à Mirabeau, Le pont de Volonne
Devant les difficultés pour traverser la Durance, les habitants et consuls d’Apt ont envisagé de construire un pont qui s’appuierait sur les rochers de Janson ; plan et devis ont été dressés : ce serait un pont à 5 arches, de 200m en maçonnerie. Vauban a examiné le projet en 1701 mais trouva risqué d’y donner suite dans l’immédiat. En 1825 il n’y avait donc qu’un bac à traille à Cadenet. Annales des Basses-Alpes. Bulletin de la Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes A19, T8, Société scientifique et littéraire des Alpes-de-Haute-Provence, Éditeur : [s.n.?] (Digne), 1898
La grotte de l’Escale dont je ne connais pas l’emplacement exact, contient les plus anciennes traces de feu connues (700 000 ans). La buse féroce relativement abondante y a été décrite comme nouvelle sous-espèce. Un itinéraire peu emprunté, varié, facile mais pour lequel il faut accepter la partie routière courte mais un peu dangereuse ; il me laisse sur ma faim parce que je n’ai rien trouvé jusqu’à présent sur cette curieuse tour-porte… Une autre randonnée dans le coin, proposée par le CG13, plus longue, que je vous déconseille de suivre à la lettre Rognes-Saint-Estève : la chaîne des Côtes qui fait passer les randonneurs sur la départementale et non le long de la rivière et du château. Image de l’itinéraire 9km100, 2h15 déplacement, 100m dénivelée, 3h au total
1Déversoir : échancrure dans le canal permettant de déverser de l’eau soit dans le milieu naturel soit dans un autre canal (secondaire par ex.)
2flèche : poutre permettant la remontée du pont-levis
3assommoir : défense interne du couloir, ouverture permettant le jet de matériaux divers
4bretêche : petit avant-corps rectangulaire ou à pans coupés, plaqué en encorbellement au devant du couloir sur un mur fortifié au Moyen Âge, défendant la base de la muraille
5franc-bord naturel : banquette formée par les alluvions que le fleuve dépose pendant ses crues
6traille : gros cordage tendu en travers de la rivière, de 15 à 20 cm de diamètre et pouvant mesurer jusqu’à 360 m de long
7chèvre : fourche faite de bois croisés sur laquelle passait la traille
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Quelle découverte !
Est-ce possible de partager cela sur le nouveau groupe fb « tu es de saint Esteve… » ?
Vous m’avez donné l’envie de faire une rando secrète à saint Esteve.
[ndlr] vous pouvez partager le lien de l’article https://www.randomania.fr/le-chateau-de-saint-esteve-janson/ dans une publication de votre groupe. Tous les articles de randomania.fr sont publiés dans un but de partage et d’échange.
L’inscription 18….77 sur le linteau sud de cette tour avec GIOVANNI POLAZZI(??)..interpelle sur la date de construction..
Un émigré italien travaillant par ici a laissé trace de son passage au château en 1877… ?
Bonjour et merci pour toutes ces approches !!!
Je suis un habitant de ce merveilleux village de SAINT ESTEVE JANSON.
Bien cordialement à vous
30.01.2021
Bonjour, je découvre avec plaisir votre blog.
Je prépare une rando qui va relier les trois abbayes cisterciennes de Provence : Sénanque, Silvacane et Le Thoronnet ; non dans un but religieux mais simplement pour donner un sens à une ballade de quelques jours.
Auriez-vous des info à me donner sur la région, sur le meilleur itinéraire, les curiosités à ne pas rater, etc dans la région ?
Mes principales étapes : 1/ SENANQUE-BONNIEUX : 21 21
2/ BONNIEUX-SILVACANE 21 42
3/ SILVACANE-PEYROLLES-en-Provence : 24 66
4/ PEYROLLES-en-Provence-RIANS : 17 83
5/ RIANS-BARJOLS : 24 107
6/ BARJOLS-COTIGNAC : 15 122
7/ COTIGNAC-LE THORONET: 18 140
Merci pour votre réponse et bonnes ballades.
Vincent
[réponse par mail perso]
Le mystère de cette porte reste donc sans réponse et malgré les archives diverses, on a du mal à connaitre l’histoire de ce château et de ses habitants. Il ne reste plus qu’à rêver en parcourant ce coin méconnu des automobilistes qui défilent non loin de là.