Voilà une randonnée riche de découvertes qui m’incitera à re-découvrir les Alpes de Haute Provence où j’ai vécu plusieurs années. Classée facile (7km, 3h, dénivelée 316m – départ pont Bernard, arrivée au parking visiteurs), la randonnée à Ganagobie1 a été organisée lors de la fête régionale de la randonnée 2008 à Volonne. Notre guide en profite pour nous présenter un petit bout du GR653D réhabilité par les baliseurs, et qui était autrefois le chemin de St-Jacques et de Rome :
Bienvenue sur les chemins de Compostelle
Après une petite halte au minuscule village de Ganagobie, nous entamons la montée vers le plateau. Petit crochet vers la maison écologique qui tourne sur son socle grâce à des roulements à billes (plus de 1000 billes !), et qui ressemble plutôt à une soucoupe.
La sphère est le volume qui a le moins de surface de contact entre l’intérieur et l’extérieur, d’où moins de pertes énergétiques l’hiver, et moins d’apport de chaleur l’été. En orientant les parties vitrées et les panneaux solaires face au soleil durant toute la journée, on récupère un maximum d’énergie. Et inversement, en positionnant automatiquement la face non vitrée vers le soleil, créant une sorte de bouclier thermique, la fraîcheur est maintenue dans le dôme. « Les grosses gaines d’aluminium qui partent du sommet serviront l’hiver à aspirer l’air chaud qui s’accumulera au sommet de la voûte pour le réinjecter en bas du dôme. L’été, en inversant le flux, elles permettront d’injecter de l’air frais au sommet pour provoquer un brassage de l’air interne. » Du liège expansé sert d’isolant au sol et sur les murs. Toute la périphérie, considérée comme non habitable, peut être utilisée comme rangements. Grâce aux matériaux dont elle est composée et surtout à son système de rotation automatisé, c’est une maison particulièrement écologique. Sa structure en bois lui permet de parfaitement s’intégrer dans la nature. Et elle résisterait même aux séismes ! Guillaume a construit sa soucoupe dans les oliviers : les étapes de construction
La météo ce jour à cet endroit :
Avec le vent et la température ressentie
Sous les rochers, nous découvrons des grottes, des sources, une citerne, et un ancien lavoir taillé dans la pierre. Nous passons devant le cimetière des moines, où de sobres croix sont rigoureusement alignées. Les moines bénédictins de l’abbaye de Hautecombe (Haute-Savoie) ont rejoint la communauté de Ganagobie depuis 1992. Leur abbaye, qui est en cours de restauration pour plusieurs années, accueillera des retraitants.
Gaston Dominici, sur la fin de sa vie, devint l’ami d’un moine bénédictin du monastère de Ganagobie lequel reçut sa confession qu’il ne trahit jamais. Gaston Dominici décéda en 1965, sans qu’on sache jamais son degré d’implication dans le triple meurtre de la famille Drummond. (extrait du site wikipedia)
Site officiel de l’abbaye notre dame de Ganagobie
Les horaires des messes à notre dame de Ganagobie
Le portail de l’église romane attire mon attention tant les sculptures de pierre sont réalistes jusque dans le détail. Le Christ est entouré des 4 évangélistes. D’une main, il bénit, de l’autre il tient la bible. Les animaux sont les symboles des évangélistes. Ce serait l’œuvre d’un seul artisan au XIIè siècle. Si on entre dans l’église, par un escalier latéral, on accède à une tribune élevée où se trouve l’autel de saint Transi ; c’est là que les paysans apportaient les enfants mal en point et imploraient le saint sauveur d’enfants (voir le document du site Balades pour la tête et les jambes). Tout le monde s’accorde pour dire que c’est une des plus belles œuvres romanes de Haute-Provence. Après une période de richesse aux XIIe et XIIIe siècle grâce aux donations des comtes de Forcalquier, d’affaiblissement puis de renouveau, de saccages et destruction, elle renait après la seconde guerre mondiale.
En bordure de falaise où nous marchons sur des dalles calcaires qui montent et descendent sans arrêt, de nombreux sentiers offrent de courtes mais intéressantes promenades : côté ouest, la carrière de meules2 nous laissera tous perplexes. Pratiquement personne ne savait que cela avait existé. Les meules sont taillées sur place et notre guide ne sait pas comment elles étaient décollées du sol. Un petit tour sur internet au Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes, et quelques indications aimablement fournies par Alain Belmont (promis, si en chassant le trésor je découvre une carrière inédite, je vous la signale…), vont me permettre de décoder le site :
- La période d’exploitation attestée : Moyen Age – Epoque Moderne ;
- Type de meules produites : meules monolithes à grain ;
- Production : 80 meules ;
- Aire de diffusion de la production : régionale.
A l’ouest du plateau et au nord de l’allée de Forcalquier, les dalles de molasse à éléments grossiers ont été entamées sur 3 aires distinctes. Les plus petites regroupent 6 et 12 alvéoles d’extraction, la plus grande une soixantaine. L’extraction s’est faite sur le plan horizontal et sur deux à trois niveaux superposés, à l’aide de fossés annulaires à profil en U. Les ébauches abandonnées mesurent 1,20 m de diamètre pour 20 à 40 cm d’épaisseur, les alvéoles d’extraction 1,50 à 1,80 m de diamètre. Auteur de la fiche : Alain Belmont.
Atlas des meulières de France et d’Europe
Après synthèse de plusieurs recherches sur les carrières de meules (Acte du colloque de Grenoble sur les meulières, les carrières de meules de Quaix en Chartreuse, Carriers et meuliers mémoires enfouies – l’évocation sous forme de souvenirs rend le texte un peu confus, Site des Amis du moulin de la Mousquère – la Ferté-sous-Jouarre – nombreux dessins explicatifs), je peux essayer de vous expliquer de façon générale, le mode d’extraction de ces meules. Les noms de métiers appartiennent à un vocabulaire moderne.
- Les terrassiers dégagent le banc des sédiments qui le recouvrent, et éliminent éventuellement une première couche trop mince pour les intéresser ; le tireur extrait la pierre au pic, plus tard il se sert d’explosif après avoir foré un trou pour y mettre la poudre ;
- le carrier ébauche les meules et les carreaux ; à l’aide d’un compas à pointes sèches ou d’une simple tige de fer attachée à une ficelle, il trace un cercle d’un diamètre compris entre 1,20 et 1,50 m. Les artisans détourent la meule au pic ou au burin en creusant un fossé annulaire, large d’une trentaine de centimètres et profond d’autant.
- Reste à la décoller du rocher, une étape cruciale, la plus délicate à mener ; les ouvriers ouvrent une saignée à la base de la pièce dans laquelle ils creusent une série de larges encoches espacées d’une vingtaine de centimètres – les «emboîtures» ; celles-ci accueillent habituellement des coins de fer que l’on enfonce avec des masses ou bien, comme ici, des coins de bois que l’on arrose d’eau, qui se dilatent et fissurent la pierre ; les carriers se servent d’une pince de trois mètres en guise de levier ; en pesant dessus de tout leur poids, ils parviennent à arracher la meule du rocher. Lorsque tout se passe bien, la meule se décolle en un seul morceau et laisse derrière elle une alvéole caractéristique.
- Le piqueur aplanit les surfaces de la meule et la dote d’un oeil ;
- Selon la configuration du terrain les rouliers utilisent plusieurs méthodes pour sortir les meules de la carrière : à bras d’homme, avec des leviers, barres de fer et rouleaux ou avec un cabestan et un treuil. La sortie d’une meule de la carrière était toujours une opération dangereuse à cause de son poids, de sa situation au fond d’un creux rocheux, du matériel rudimentaire que l’on utilisait.
A Ganagobie, certaines meules sont de petite taille et devaient servir à des fonctions domestiques ; parfois, profitant de la géologie du terrain, la meule pouvait être collée à une couche de sédiments : il était alors possible de la décoller comme un emporte-pièce, sans risque de casse. Certaines meules accidentées sont restées sur place. Malgré une deuxième visite, je ne parviendrai pas à reconnaitre les traces d’outils utilisés, pourtant visibles sur d’autres sites.
Avec les sarcophages, les réservoirs d’eau, les meules, la fontaine aux oiseaux est un autre témoignage du travail de la pierre ; à l’extrémité nord du plateau, nous serons surpris de découvrir les vestiges d’un village abandonné au XVème siècle et qui avait été protégé par un mur flanqué d’un bastion.
Au bout de l’allée de Forcalquier, nous dominons le bassin de Forcalquier, apercevons la montagne de Lure, et même la coupole de l’observatoire de Saint-Michel ; au bout de l’allée des moines, par derrière la croix (photo Ti’Mars…), nous dominons la vallée de la Durance, le plateau de Valensole et devinons sous les nuages, les grands sommets des Alpes. Quelques jours après les inondations, la Durance apparait encore boueuse et occupe toute la largeur de son lit. Un spectacle rare.
Reste à éclaircir qui pourrait être l’auteur de cette œuvre de land art sur la photo jointe…
Malgré le temps incertain et la visite un peu trop rapide à mon gré, j’apprécierai cette randonnée aussi physique que culturelle. Merci le cdrp 04.
Lire aussi dans ce blog l’article consacré uniquement au plateau de Ganagobie
Je remercie Alain Belmont, grand spécialiste des carrières de meules, pour l’aide bibliographique apportée et la relecture de cette note.
Bibliographie :
Pierre MARTEL, Les tailleries de meules de Ganagobie, leur intérêt pour l’étude des tailleries du Sud-Est de la France, Le Monde Alpin et Rhodanien, 1973, n°1, pp. 77-96.
Belmont Alain, Le salaire de la pierre [les carrières de meules dans les Alpes], L’Alpe, n°17, automne 2002, pp. 48-53.
Belmont Alain, La pierre à pain. Les carrières de meules de moulins en France, du Moyen Age à la révolution industrielle , Grenoble, PUG, 2006, 2 vol., 332 et 232 pages
1Ganagobie : les recherches les plus sérieuses ont établi que le toponyme comporte la racine gan, variante de la racine han signifiant « hauteur », désignant le rocher. […] Par ailleurs, il est formé de la racine celtique gob évoquant la courbe ou le cercle, […] une hauteur rocheuse circulaire (selon wikipedia)
2carrière de meules ou meulière, molière : elles sont aériennes ou souterraines
©copyright randomania.fr