Le village médiéval abandonné de Vière à Ongles


Découvert le dimanche des Journées européennes du Patrimoine 2006, ce vieux village nous a accueilli pour le pique-nique. Installés près de l’église Saint-Barthélémy, nous avons continué de discuter avec nos guides de l’association Alpes de Lumière. La journée avait mal commencé : le car img_2572.JPGqui devait nous déposer près d’un cabanon pointu à Mane, était tombé dans une ornière le long de la route et se trouvait en équilibre précaire. Aussitôt tous les hommes qui pouvaient transporter de grosses pierres, les ont rassemblées près de la roue du car. A la demande du chauffeur, toutes les femmes sont montées à l’avant pour le faire pencher à gauche, tandis que les pierres étaient glissées sous la roue. Le car tanguait mais n’a pu être sorti de cette façon : c’est finalement un tracteur qui réussira la manœuvre. Avec brio, notre organisatrice a réquisitionné quelques chauffeurs qui nous transporteront sur le lieu de la conférence à Ongles (8 hameaux pour moins de 300 habitants, étagés entre 540m et 1310m…).

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Photos du village (texte en flamand)

Jean-Yves RoyerEt c’est avec un peu de retard, mais tous présents dans le bistrot de pays d’Ongles, que nous avons suivi la conférence de Jean-Yves Royer(1) sur « le sexe des bories et les bories(2) elles-mêmes »… qui ne désignent surtout pas des cabanes de pierre sèche ! Sur le plan cadastral de 1813, seuls les noms de cabanes et chabanons étaient utilisés et à la fin du XIXe siècle, cabanons pointus. jamais, et nulle part (je dis bien : jamais, et nulle part), ces constructions n’ont porté ce nom avant que quelques fumistes et pseudo-érudits s’avisent de les en affubler, bientôt suivis par la foule des gogos…. Homme érudit et plein d’humour, il a séduit son auditoire, installé sur les chaises mises à sa disposition par le cabaretier du village.
Pour en finir avec les bories (Présentation de la conférence de Jean-Yves Royer)

Itinéraire Vière médiéval

img_2579.JPGimg_2580.JPG[…] Le hameau de Vière se dresse sur un site d’exception, bastion des derniers oliviers dans ce pays de transition vers le Dauphiné. L’association Alpes de Lumière estime que ce site mérite d’être dégagé et consolidé : elle espère convaincre le conseil municipal de se lancer dans une action globale d’aménagement et de valorisation.

Pierre tombale de Marie Bertrand (?)Le bourg porte le nom d’Ungula en 1073 et il est entouré d’un mur d’enceinte. Au XIVe siècle, il est dominé par un ordre religieux qui construit l’église Saint-Barthélémy mais les écrits n’en parleront que 200 ans plus tard. En 1586, les huguenots occupent Ongles et démolissent le château par ordre du gouverneur de Provence. Les habitants progressivement descendent dans la vallée, se rapprochent des points d’eaux et colonisent les terres arables de la plaine.

st-barthelemy projectionIl ne reste de ce vieux village que des pans de mur dont ceux de l’église dont on a peine à imaginer ce qu’elle fut en entier (L’église est désaffectée en 1841), quelques traces de rues et de plantations d’oliviers. Nous circulons dans les anciennes rues du village, souvent encombrées de pierres et qui n’ont jamais été pavées. Il n’y avait pas de fontaine publique : les eaux de pluie étaient récupérées dans des citernes. Une des maisons était habitée par l’ancien consul Claude Meyronne. En 1763, 58 habitants y vivent encore. La maison dit le Pélican a un mur arrondi au lieu d’être droit. Elle ne ressemble pas à une maison traditionnelle mais plutôt à une tour. Mais pourquoi ce nom ?
La confrérie des Pénitents Blancs est la plus connue (on sait qu’à Ongles, il Ruines de la maison Pélicany a eu  plusieurs confréries). La tradition du sud de la France faisait qu’en chaque ville ou village se formaient des sociétés d’hommes, de femmes ou mixtes, se dévouant au bien public avec ou sans but spirituel avoué. Son symbole est celui du pélican s’ouvrant les entrailles pour donner à manger à ses petits. Le Christ est cité dans quelques prières sous la forme de cet animal ; personnellement j’imaginerais bien que dans cette maison les pauvres étaient accueillis par cette communauté. J’ai trouvé trois autres maisons Pélican : une à Bruges, l’autre quelque part en France, une troisième  à Banon, près du lieu dit Fouent Créma. Coïncidence ? Mon hypothèse serait-elle la bonne ? Selon Ongles au XVIIIe siècle, la maison de nos grands-mères, A. Lombard & M. Mathieu, Les Alpes de Lumière, coll. les cahiers de Salagon, 2000, cette maison appartenait à Joseph Martin, sonneur de cloches, enterre-mort, ancien procureur juridictionnel ; Marie Peyre était sa femme ; le couple avait 2 garçons et 3 filles. Le Pélican était un personnage important qui était à la fois :

    • valet de ville(3) proclamant par sa voix les procès-verbaux de la communauté ; pour être crieur public, ne devait-il pas posséder un « grand gosier » comme le pélican ?  Serait-ce là l’origine de son surnom ?
    • sonneur de cloches (lors des baptêmes, mariages, enterrements, angélus et… orages menaçants !),
    • fossoyeur : il enterra 29 personnes en 1765 (contre 16 naissances seulement),
    • et dispensé des tirages au sort dans le cadre du recrutement par la milice.

    Le village d’Ongles, site GénéProvence
    Le village de Vière, site GénéProvence

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    (1)Psychologue de formation et passionné par la culture occitane Jean-Yves Royer s’est tour à tour fait enseignant, berger, comédien, peintre, sommelier, historien, chercheur, conférencier, écrivain et conteur…
    (2)lou bori : craie à marquer le bétail. En 1878, Frédéric Mistral fait de borie l’équivalent de « masure », « cahute »
    (3)valet de ville : c’est le crieur public chargé de porter à la connaissance de tous les décisions des consuls et du conseil. Il portait un signe distinctif, le plus souvent une manche de couleur ou une bandoulière aux armes de la ville. Dans les petites communautés, il peut assurer aussi un rôle de police urbaine

Le vallon de l’Eau Salée et le cabanon des vignes


Impossible de trouver ce site à Fontienne si l’on n’est pas introduit par un habitant ou par quelqu’un qui connait. Aménagé et modelé par l’homme pour l’exploitation agricole, il a été restauré par la communauté de communes du pays de Forcalquier et de la montagne de Lure avec l’aide de l’association Alpes de Lumière. Elle a adopté un concept original : en faire un site « réhabilité » conjuguant l’accueil des visiteurs, les promeneurs et l’activité traditionnelle de parcours des chèvres. Quelques membres passionnés nous ont fait visiter ce site lors des journées du patrimoine.
* Itinéraire jusqu’au cabanon

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Un sentier longeant de vastes terrasses cultivables soutenues par des murs perpendiculaires vous emmène jusqu’au ravin de la Longière que les villageois appellent vallon de l’Eau Salée, nom qui figure sur le cadastre napoléonien de 1836. Les éleveurs y font encore paitre leurs troupeaux.

Le long du sentier botanique qui descend doucement jusque dans le vallon, quelques végétaux, arbres et arbustes sont présentés : depuis le « poivre d’âne » jusqu’à la viorne en passant par l’alisier ou la lavande fine qui s’étend jusqu’aux crêtes de Lure.

img_2597.JPGimg_2601.JPGimg_2599.JPGLe cabanon Sube : il porte le nom de son propriétaire ; couvert de lauses à Photo du dépliant publicitairequatre pentes, sophistiqué, enduit et agrémenté d’une terrasse et d’une plaque d’envol pour les pigeons, à 3 niveaux (dont une cave), il avait plusieurs fonctions : stockage, élevage, séjour. La sauge officinale a survécu au long abandon du cabanon, sur le pas de la porte, à l’endroit de la terrassse d’agrément. Une citerne sous la cave a été déblayée lors de la restauration. Bref une cabane des vignes cossue comme il est rare d’en découvririmg_2603.JPGimg_2607.JPG en pleine nature.

Le cabanon du rocher, construit près des sources, directement sur un rocher, n’a pas de toit, personne au village ne se souvenant en quoi il était fabriqué. Il pouvait abriter temporairement des hommes et leurs bêtes.

Un spectacle Jean des Pierres, écrit par l’historien Jean-Yves Royer, nous est présenté en plein air. Récit en français  (Jean Marotta) et chants en provençal (René Sette, murailleur et caladeur) me permet de comprendre presque toute l’histoire de cet homme qui parlait aux pierres. « Il fut un temps où vous n’auriez trouvé personne, dans tout le pays, pour monter une muraille en pierre sèche, sans aller chercher Jean des pierres. Lui, et lui seul, comprenait ce que disent les pierres quand le vent leur souffle dans le dos… »

img_3020.miniature.gifA la fin de la visite, le maire de Fontienne et son conseiller, fiers de la réhabilitation de leur patrimoine rural, sont venus partager avec nous l’apéritif (j’ai goûté l’orange Colombo, fabriqué à la distillerie de Forcalquier : je ne vous en dis pas plus) et les spécialités du pays, dont un fromage de chèvre au goût unique, et croyez-moi, je m’y connais car je ne mange que du chèvre ! Un plaisir simple qui me laissera l’impression d’avoir été privilégiée.

Pour une visite accompagnée oti@forcalquier.com

Les rochers des Mourres


medium_img_0464.jpgParcours plein de charme provençal au départ du village de Forcalquier, dans la Haute-Provence de Giono, réputée pour la grande pureté de son air.

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J’accède au chemin de saint-Marc après une route en pente raide. Un villageois m’interpelle gentiment et me souhaite une bonne balade. Le chemin de St-Marc longe quelques propriétés et domine les anciennes parcelles agricoles dans lesquelles de nombreux cabanons pointus ont été construits. Pierre Martel estime entre 30 et 50 tonnes le poids d’un cabanon pointu de taille moyenne du pays de Forcalquier ! « Ils servaient à protéger les outils d’un jardinier, la provision de bois ou les ruches d’un paysan, ou encore son repos les jours de canicule au moment de la « méridienne »; parfois ils servaient d’écurie pour un âne, un mulet ou un petit troupeau » (extrait de * Témoins de l’architecture de pierre sèche en France).

Un site très concret sur la pierre sèche

A l’aide d’une paire de jumelles, vous pourrez les observer depuis le haut de la falaise, ainsi que les coupoles lumineuses de l’observatoire de St-Michel.
* Voir dans ce blog d’autres randonnées permettant de voir des constructions en pierre sèche : * Eguilles, ou * Salon de Provence, dans le Tallagard
Dans un petit enclos tout près de cette falaise, deux ânes sont parqués ; l’un deux pose sa patte arrière si près du précipice que j’ai peur qu’il ne tombe. Je passe à côté de lui en veillant à ne pas l’effrayer.
Du relais de télévision, le paysage est contrasté : le soleil est chaud en ce début de printemps mais au loin les Alpes du Nord sont enneigées et les skieurs, sans doute, s’en donnent à coeur joie.

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En contrebas, les agriculteurs travaillent dans les champs d’oliviers ou d’amandiers. Au nord, j’aperçois le bois du Roi et le début des rochers des Mourrres1.

medium_img_0477.jpgCe calcaire des Mourres date de 25 millions d’années (oligocène) à l’époque où un lac recouvrait Valensole et Forcalquier ; la période miocène qui suivra verra la dernière transgression marine régionale. Au pliocène, par une inversion de la faille de la Durance, le fleuve comblera le bassin d’effondrement de Valensole de plusieurs centaines de mètres de galets arrachés aux Alpes. Les jeux de l’érosion actuelle dégageront […] les pénitents des Mées, et les paysages en cuestas de Forcalquier […] des Mourres.

En savoir plus sur randomania plus : la formation des Mourres

Les formes sont différentes selon l’avancée de l’érosion :

  • quand les eaux de ruissellement commencent à emporter la marne friable, elles laissent émerger des rochers grisâtres,
  • puis quand elles ont enlevé complètement la marne, elles laissent apparaitre des rochers de différentes formes, gris en haut sur du calcaire blanc plus tendre en bas,
  • Enfin, quand l’assise blanche est érodée, le rocher gris qui était suspendu, se retrouve au sol.

Ainsi l’érosion par les eaux de ruissellement qui coulent Nord-Sud dégage progressivement les rochers de ce site en entraînant vers le bas les marnes tendres qui les entouraient.

En effectuant la randonnée dans le sens indiqué, la visite sera plus cohérente. (* Voir la sortie pédagogique faite par un professeur de Sciences de la Vie et de la Terre)</p? medium_img_0478.jpgCe qui m’a tentée, c’est de délaisser le balisage pour le vallon, à l’aventure ! et je n’ai pas regretté. Après la traversée du ruisseau à gué, je me suis retrouvée alors dans un lieu désertique entouré de ces figures bizarres posées sur un sol grisâtre parmi une végétation maigre digne des déserts arides. Imaginez-vous perdu dans ce lieu la nuit, uniquement éclairé par la lune, un jour de violent orage… J’ai compris pourquoi ce paysage ruiniforme, avait inspiré des écrivains tels que eugène plauchud, Lou Diamant De Sant-Maime, 1893 ou la légende des pénitents des Mées, écrit en provençal, camille arnaud, ancien maire de Forcalquier, et le réalisateur georges lautner pour son film la maison assassinée, 1988, avec Patrick Bruel, tiré du roman de Pierre Magnan (décédé le 28 avril 2012).
medium_img_0493.jpgBien qu’à quelques kilomètres encore de la ville, le son clair et harmonieux du carillon de la citadelle (seul carillon manuel de Provence fonctionnant « à coup de poings ») accompagne à midi mon retour vers Forcalquier. En passant devant le cimetière classé dont les ifs centenaires sont parfaitement taillés en haies épaisses percées de voà »tes, je me remémore la tristement célèbre affaire Dominici, dont les victimes sont enterrées ici (* l’affaire Dominici).
Voilà une randonnée particulièrement agréable et variée : nombreux monuments à visiter dans le village, montagne des préalpes ou colline, champs ou forêt, fleurs et animaux, constructions de pierre sèche et chapelle, curiosité géologique, ruisseau, cimetière classé, carillon peut-être, tout cela sur un seul itinéraire de 2h15 ! Le sentier est peu fréquenté et sort vraiment des randonnées classiques.

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1mourre : visage, museau, trogne, groin, mufle. Exemples : mourre nègre = face noire. Faire un mourre de six pans = c’est faire la tête. Selon l’index alphabétique du lexique provençal