Organisée par les Amis de Jouques (contact), cette sortie gratuite (version 1) fut une véritable découverte insolite du Réal ; sans l’association, je n’aurais jamais découvert ce coin (propriétés privées) : nombreux vestiges de moulins, un vieux pont (et peut-être même un autre romain), une ripisylve garantissant une balade à la fraiche malgré les 30° dehors (peupliers blancs, de saules, de frênes et d’aulnes), une température de l’eau ne dépassant pas 20 degrés l’été et convenant donc parfaitement aux salmonidés ; encadrée par des spécialistes des sujets abordés (Gilles Cheylan, Gaëtan Congès, Jouques Action Biodiversité, la société de pêche privée le Réal), elle ne pouvait que satisfaire le groupe et la curieuse que je suis.
J’y suis même retournée le 29 juillet par une boucle : ce sera la version 2.
Rien qu’en observant les différentes cartes de Jouques nous apprenons beaucoup de choses :
- carte de Cassini vers 1760 : sur le Réal on dénombre 5 symboles de moulins ; Pey1 Gaillard s’écrivait Puigaillard ; la chapelle Saint-Jean-de-Ville Vielle, pourtant signalée en état de délabrement en 1739, est représentée sur la carte ;
- sur le cadastre napoléonien (1810) :
- section G (Pey Gaillard), Le Réal c’est le ruisseau de Jouques ou de Saint-Bacchi ; Malle Vieille2 s’écrit en deux mots, un aménagement de couleur bleue (barrage) sur la rivière au niveau du pont à Mallevieille ; passant sur ce pont, la carraire de transhumance des Blaquières rejoint le chemin de Jouques à Saint-Paul ; selon moi, cette carraire est une des grandes voies de transhumance, celle de Barcelonnette.
Citée par Sandrine Krikorian, Les chemins de transhumance dans la Provence du XVIIIe siècle, 2022, la deuxième route de transhumance connue par le Mémoire de la route de l’abeillier qui va dépaître pendant l’été à la montaigne de Larche et celle de Josiers et celle du Chatelas, toutes ces montagnes dans la vallée de Barcelonnette, indiquent que les troupeaux passent par … Peyrolles, Jouques, Saint-Paul, Cadarache, Vinon,… où on arrive le 28 juin, en l’année 1752, parti le 14 juin de la même année, composée de 10402 bêtes.
- sur la section F Sainte-Trinité, un moulin se trouve sur l’ancien canal de Peyrolles (propriétaire BLANC Jean Honoré dit Bienheureux) et Paradou3 de Séouve4 (propriétaire SANTON J.-Baptiste décédé avant 1810, marié en 1796 à Ricard M.-Elizabeth) et son long canal d’amenée parallèle au ruisseau ;
- sur la section H2 (Saint-Sébastien), le moulin du Bienheureux (BLANC Jean Honoré dit Bienheureux) à Malle Vieille ;
- section G (Pey Gaillard), Le Réal c’est le ruisseau de Jouques ou de Saint-Bacchi ; Malle Vieille2 s’écrit en deux mots, un aménagement de couleur bleue (barrage) sur la rivière au niveau du pont à Mallevieille ; passant sur ce pont, la carraire de transhumance des Blaquières rejoint le chemin de Jouques à Saint-Paul ; selon moi, cette carraire est une des grandes voies de transhumance, celle de Barcelonnette.
- Sur la carte d’état-major (1860), le moulin de Peyrolles s’appelle moulin de Vergne, du nom de son propriétaire ; deux moulins sont repérés Min, mais n’ont plus de nom : cette information est probablement sans intérêt pour l’état-major ;
- Sur la carte IGN de 1950, restent le moulin du Réal (Peyrolles) sur le canal de Peyrolles et deux symboles de moulin entre Mallevieille et le village ; les moulins en aval n’existent plus.
De nombreux moulins se sont développés depuis la période médiévale.
1335 : 10 moulins ; 1508 : 21 moulins ; 1823 : 11 ; 1923 : 4 dont 2 papeteries. Source : Jouques, Site Patrimonial Remarquable, Aire de mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine (A.V.A.P.)
Nous suivons le sentier jusqu’à l’endroit où, lors du percement de l’autoroute, la présence d’engins de terrassement a permis le creusement d’un nouveau lit pour le Réal. Ses eaux passent désormais sous l’autoroute et sous le chemin. Extrait de Souvenirs de pêche, société de pêche du Réal.
Sous les frondaisons d’arbres bien hauts, nous nous rapprochons de la rive droite du Réal. Très vite, une première ruine bien cachée, d’où l’on descend en escalier, avec un muret de soutènement, ne figure pas sur le schéma explicatif préparé par P. Doucière en 2015. Moulin ou simple maison ?
L’étroit sentier sinue en sous-bois ; en juillet nous avons parfois été obligés de couper quelques branches au sécateur. Beaucoup d’arbres sont tombés en travers de la rivière.
André (2e visite) s’arrête devant une plante, en coupe quelques tiges qu’il retourne et assemble pour former un ‘scotch brite’ naturel ; en effet la propriété abrasive de la prêle des marais (consoude) lui vient de ses tiges cannelées qui présentent un épiderme siliceux.
La prêle peut être utilisée pour récurer les casseroles. Séchée, elle permet même de poncer finement des pièces d’ébénisterie ou de métal. Une bonne astuce zéro déchet !
La prêle des champs – attention il faut trouver la bonne – a d’autres propriétés médicinales (voir vidéo ci-dessous) :
A l’endroit de la prise d’eau sur l’ancien canal de Peyrolles, nous empruntons un vieux pont de pierre sans parapet qui, autrefois, par Saint-Jean-de-Villevieille, permettait de rejoindre la route d’Aix à Rians (D561) par les Baudanières.
Nous sommes au pied du moulin de ressence à huile : coup d’œil sous la chambre des eaux puis les hauts murs épais du moulin. Jean Honoré BLANC dit le Bienheureux possède donc 3 moulins en 1818 !
Il recevait le marc d’olives – après deux passages au moulin ordinaire – dont il extrayait une huile utilisée pour l’éclairage des lampes à huile, pour graisser les rouages des machines, ou faire des bougies, du savon. Cette huile s’appelait huile de Récense. Mode opératoire
De retour sur la rive droite, M. Congès nous montre un bloc rocheux empli de pierres de blocage qui pourrait être la pile d’un pont romain bien antérieur.
En amont d’un moulin, les berges sont renforcées par un mur de pierres en rive. Plusieurs aménagements du Réal, dont certains sous forme de barrages, guident l’eau vers le canal d’amenée. Parfois dans la berge par une ouverture à peine visible, l’eau du moulin est rejetée dans le Réal.
Toujours rive droite, des vignes sauvages : le cadastre napoléonien nous rappelle que dans la partie basse de la vallée, les vignes étaient cultivées ; une chambre des eaux pourrait correspondre au moulin de la Garduelle, chemin des Estrets : curieusement, ni moulin, ni maison ne sont indiqués sur l’état de section G à la Garduelle en 1818… Serait-ce le moulin à tan Vinaigre ?
Le moulin à tan avait pour fonction de réduire en poudre l’écorce de chêne ou de châtaignier, pour en extraire le tannin, utilisé pour le tannage des peaux. Il était utilisé aussi pour les voiles de bateaux et les filets de pêche. Le broyage des écorces prit de multiples formes, mais essentiellement par meules ou par pilons.
Moulins de France
Presque en face le moulin Paradou3 de Séouve4 sur l’autre rive ; en juin, avec l’autorisation des propriétaires, nous étions passés par la passerelle privée ; cette année, la maison étant occupée, nous avons observé moulin et maison depuis la rive droite.
paradou3 : moulin à fouler le drap. Il sert à battre ou à fouler la laine tissée (drap) dans de la terre à foulon (argile smectique) pour l’assouplir et la dégraisser. Wikipedia
Cette année, il a bien fallu traverser le Réal à gué un plus loin ; un énorme tronc tombé en travers surplombe la rivière, il aurait sans doute permis de traverser par un exercice d’équilibre mais je ne me sentais pas trop à l’aise ; André a réussi à placer un gros tronc d’arbre dans le ruisseau ; dès que j’ai mis un pied dessus, le tronc s’est enfoncé mais cela a été suffisant pour atteindre la berge car il n’y avait pas beaucoup d’eau.
Par contre, pour rejoindre le sentier, c’est raide ! Nous sommes arrivés juste à côté du long canal d’amenée d’eau figurant sur le cadastre de 1810.
La fin du parcours est clairement inscrite dans le paysage ; j’ai cherché vainement la roue du moulin qui, selon Les Amis de Jouques, se trouve encore dans l’eau. En arrivant au pont de Mallevieille en arc surbaissé, l’aménagement d’un seuil est bien visible. Ce pont est le plus ancien pont desservant le hameau de Villevieille, pont mentionné sur la reconnaissance de 1335, restauré à maintes reprises ; il porte l’inscription gravée dans la pierre H 1813 B (H B : initiales de l’ingénieur des Ponts-et-Chaussées de l’époque ?)
Dernier moulin Jean Honoré Blanc dit Bienheureux. Enorme bâtisse à étages qui laisse difficilement deviner le moulin d’autrefois ; un curieux pont de passage relie le jardin à la maison. Au-dessus de la porte, se trouvait une plaque commémorative en marbre, non visible aujourd’hui.
Ferme Mallevieille
Les Amis de Jouques, bulletin 2021
ici ont trouvé refuge
de 1943 à 1944
41 hommes de la résistance
dont 2 évadés des bagnes hitlériens
1 anglais de la British Légion etc…
Ils ont été accueillis
hébergés et ravitaillés
Le parcours piscicole privé, en première catégorie, s’étend sur 10 kilomètres ; on y pêche la truite fario. La société de pêche a été créée en 1933 par une vingtaine de propriétaires riverains.
Près du pont de Mallevieille, nous sommes accueillis par quelques membres actifs et une exposition, dont sont tirées les principales informations de cette page (bulletin de liaison n°26, 2021). Il est proche de midi, je suis contrainte de revenir par le même chemin ; quelques jours plus tard, Liliane Lambert et son mari me permettront de photographier ces panneaux à Jouques tranquillement, ce dont je les remercie.
Points d’intérêt géolocalisés sur la carte IGN actuelle ; le bouton en bas à droite avec les 4 flèches affiche la carte en plein écran ; un clic sur les points affiche un court descriptif :
Nous n’avons donc pas poursuivi le Réal jusqu’à Jouques où se trouvent donc les moulins qui ont travaillé le plus longtemps. Deux anecdotes relevées dans la presse attestent de la papeterie Bournat à Jouques fin XIXe. Le moulin à farine a fermé en 1917.
Pierre Chironier, dit Lèbre, papetier à Jouques, inculpé politique après le coup d’état de 1851 est interné. Suite à sa bonne conduite il est grâcié par Louis Napoléon (Gazette du Midi, 4/10/1852) mais sa condamnation demeure dans les archives… Un papetier de Jouques poursuivi après le coup d’état de 1851
Antoine Fauchier, ouvrier papetier, s’est fait remarquer autrement : il a reçu la médaille d’honneur pour 30 ans de service dans la Maison Bournat. Petit Provençal, 6/1/1895
La version 2 de notre parcours est une boucle revenant au point de départ par le chemin des Estrets ; la carraire des Blaquières est désormais une impasse. J’admire le remarquable soutènement le long de la D61 ; nous marchons dans les champs à gauche, autrefois cultivés : vergers, vignes (parcelle 295 appartenant au papetier Michel Antoine), terre à labour.
Qui sait ce que matérialise cette borne 2 et où serait la première ?
Si vous êtes en forme, un aller-retour de 3km800 vous mènera à l’abbaye Notre Dame de Fidélité sur le Pey de Durance par une route macadamisée. Pour en savoir plus : Jouques un village son histoire, Les Amis de Jouques, Les Amis de Jouques, 2006, pp.199-201
Un circuit étonnamment frais pour l’été, dans une région caniculaire habituellement brûlée par le soleil, et des centres d’intérêt qui raviront les curieux ; encore mieux avec Les Amis de Jouques !
Itinéraire aller-retour guidé par le Réal 3km700 1h15 déplacement (3h10 au total), dénivelée 19m
Itinéraire en boucle 3km750, 1h15 déplacement (2h05 au total), dénivelée 30m. Variante abbaye +3km800 par la route
1pey : de pei, puech (puy) : petite colline
2Malle vieille : de mal (mauvais) et viè (la voie) : une mauvaise route
3paradou : en provençal, moulin à foulon
4séouve ou séuve ou céouve : ancien français pour forêt ; provençal : séuvo
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