Marie nous a tellement parlé de ce lieu ‘magique’ que nous avons décidé de passer une nuit à Beauvezer dans le Haut-Verdon, et de faire deux randonnées : le tour du lac d’Allos et le lendemain, les gorges de Saint-Pierre que, personnellement, je parcourrai pour la troisième fois (lire article La cascade des gorges de Saint-Pierre).
La météo ce jour à cet endroit :
Avec le vent et la température ressentie
Durant la haute saison (du 1er juillet au 31 août 2019), l’accès au parking du Laus (ou parking du lac d’Allos), dans le sens de la montée, est réglementé et payant de 8h30 à 17h… sauf si passez avant l’ouverture. Le parking de la Cluite, gratuit, a été agencé en contrebas, rendant le lac d‘Allos à 2h15 de marche. Nous avons choisi le parking payant de façon à profiter pleinement du lac le peu de temps que nous y sommes.
Dès le départ, l’environnement montagnard est coloré : plein de nuances de vert avec les prairies, les pins et mélèzes, les tapis de fleurs jaunes, les rochers gris clair, le ciel bleu limpide : nous sommes déjà ravies. Les couleurs vont se multiplier au fur et à mesure de notre progression.
Le sentier de découverte est ponctué de panneaux d’information que nous prenons le temps de lire. Eh Domi ! tu te souviens comment distinguer le mélèze1 du pin crochet2 ? deux espèces plantées en grand nombre lors du plan de Restauration des Terrains en Montagne, déclenché après plusieurs crues torrentielles et dévastatrices ; la cabane forestière du Laus qui sera sur votre gauche, en est encore le témoin.
Nous passons au dessus du ravin de Méouilles sur un simple pont de planches de bois. Nous n’entendrons pas le chuintement et le roucoulement du tetras-lyre mais nous verrons par la lunette le faux perché sur une branche d’arbre.
Dans la tourbière du Laus, milieu humide et pauvre en oxygène, le ruisseau de Chadoulin dessine d’élégants méandres dans la végétation, comme s’il avait du mal à contourner les obstacles ; autrefois, il y avait là un lac progressivement comblé par des dépôts amenés par le torrent 9 000 ans avant J.-C. Avec une paire de jumelles nous devinons une résurgence du lac : après un parcours souterrain de 2 km à travers cavités et fissures, l’eau resurgit ici 32 m en dessous du niveau du lac et s’écoule dans la plaine de Laus.
Les montagnes se dévoilent autour de la grande Séolane dont le sommet, vu d’ici, a la forme d’un creux, entourée de la Tête de Sestrières et le Grand Cheval de Bois.
C’est dans ce secteur que l’on trouve le lac d’Allos, le plus grand lac naturel d’Europe à cette altitude (2 200 m). Creusé il y a 20 000 ans par un glacier, il est cerné de cinq «tours» en grès d’Annot qui culminent à plus de 2 500 mètres. Le sommet du mont Pelat3 (3051 m), fréquenté par aigles royaux, marmottes, hermines, bouquetins, insectes rares…, offre une vue exceptionnelle sur le lac et, par temps clair, permet de voir de la montagne Sainte-Victoire jusqu’au Mont Blanc… Parc du Mercantour
Au panneau d’information sur les marmottes, bien à-propos, une marmotte un peu lourdaude se sauve dans le pré : je ne vois que son arrière-train. Bientôt un bout du lac apparaît avec ses pics tourmentés puis, face au refuge, les Grandes Tours du Lac ; la vision complète du lac ne peut laisser insensible l’amateur de nature préservée, sans espace aménagé pour les touristes – hormis le refuge -, sans nuisance sonore, sans parking voiture, sans eau courante, sans poubelle (chacun gère et remporte ses déchets). Nous sommes toutes séduites… la dernière étude scientifique constate qu’aujourd’hui une vase noire se développe au fond du lac : oeuvre du réchauffement climatique ?
Nous montons à la bien curieuse chapelle des Monts, enterrée dans la pente autour de gros blocs rocheux qui servent de chœur ; modeste édifice de 6 m sur 4.10 m, construite en gros moellons trouvés sur place, elle possède un mur couvert d’ex-voto datant du début du XXe. La date de 1924 est inscrite sur une des pierres extérieures, le premier ex-voto date de 1925.
Le 5 août 2014, lors de la fête du lac d’Allos, la mairie a fêté l’inauguration des travaux de restauration. Autrefois, lors de la bénédiction, il y avait distribution d’eldelweiss.
Elle est l’œuvre d’un curé-doyen du Var, l’abbé Thiébaud qui a également entrepris la construction du presbytère, petit édifice indissociable de la chapelle, à la même époque.
On retrouve la date de 1927 sur le clocher, et celle de 1930 sur une pierre de la sacristie […]. L’aspect rupestre de l’édifice, son intégration « géologique » au paysage, […] en font un monument incontournable du paysage montagnard local valléen. D’après le site de la mairie d’Allos
Les Tours se reflètent dans le lac avec leurs petites langues de neige qui restent accrochées aux pentes après l’hiver ; un paysage de carte postale qui donnera envie à certaines de s’installer au refuge pour le repas, troquant un modeste sandwich contre une assiette de fromages et charcuterie de pays. Et pour toutes, la fameuse tarte aux myrtilles. Pendant l’attente, nous avons scruté vainement les pentes de la montagne du Laus, espérant voir les chamois, mais l’heure n’est pas propice.
Le refuge accueille pour la nuit les randonneurs, soit dans un dortoir, soit dans une chambre à réserver longtemps à l’avance.
En 1862, à l’initiative du département des Bouches-du-Rhône, il est envisagé d’utiliser le lac d’Allos comme réservoir d’eau pour les communes et l’irrigation. En 1894, le Conseil Général discute encore sur le financement et les modalités d’utilisation de l’eau. La commission parlementaire chargée d’examiner le projet juge inapplicable la délibération du Conseil général de 1902 ; en 1914, toujours pas de travaux. En 1931, la commune d’Allos (maire Chalve) s’oppose à l’obturation du déversoir naturel du Chadoulin grâce auquel les riverains peuvent irriguer ; elle pressent également l’impact touristique : la chapelle n’émergerait qu’en été à la cote maximale prévue ; l’augmentation du niveau du lac inonderait la seule partie du bord du lac où les constructions sont possibles. Remercions le maire d’Allos de l’époque qui s’est battu pour que le site reste en l’état ; je note qu’entre le lancement du projet et son abandon, il s’est passé 70 ans ! et sans doute beaucoup d’argent dépensé pour rien…
La découverte des gorges du Verdon : histoire du tourisme et des travaux hydrauliques, Alain Collomp, Edisud, 2002 Rapports et délibérations / Conseil général des Alpes-de-Haute-Provence, Conseil général Alpes-de-Haute-Provence, Digne, 1931
Le dicton couro me veiras plouraras – quand tu me verras, tu pleureras – est gravé sur une pierre au fond du lac, au niveau de l’évacuation [ndlr : l’eau du lac s’évacue en souterrain par une faille dans le fond du lac, aboutissant à la résurgence que nous avons vue précédemment] et précédée de la date ; elle est flanquée des signatures de ceux qui, équipés d’outils et profitant de 40 cm de glace dans le lac, ont retrouvé la piètre épigraphie le 14/01/1990. Chroniques de Haute-Provence, Numéros 351 à 353, Chroniques de Haute-Provence, 2004
Après le repas au soleil (attention aux coups de soleil !), nous partons pour le tour du lac. Au plus près, nous sommes déjà surprises par le nombre impressionnant de menus poissons qui se sauvent en bande serrée quand résonnent nos pas. La linaire des Alpes avec sa corolle bleu violacé munie d’une gorge orangé, est aisément reconnaissable. Dans le torrent qui dévale l’envie irrésistible de Domi la pousse à la baignade mais, même en été, l’eau d’un torrent de montagne est froide ! ce sera juste les pieds dans une eau claire. Pendant ce temps, nous sourions à l’observation de chaque membre d’une famille tentant de le traverser sans se mouiller les pieds.
Avec son fils adoptif, Yongden, l’exploratrice Alexandra David Neel, alors âgée de 82 ans, campa l’hiver au lac d’Allos. Il faut tout de même beaucoup d’imagination pour prendre le Cousson pour l’Everest et la montagne de Courbons pour le Kangchenjunga ! Mais je dois dire qu’effectivement, ce paysage m’a beaucoup plu.
Au retour, nous observerons un couple qui tente de rejoindre le sommet du mont Pelat3, minéral et raide, mais le plus facile des Alpes du Mercantour, semble-t-il.
Attirées par un massif de rhododendrons, nous grimpons la pente assez rude du vallon ; autour de nous, de nombreuses entrées de terriers de marmottes. Nous nous asseyons et, dans le calme, attendons leur arrivée ; d’abord une solitaire, puis une joueuse qui course une autre, et une sentinelle au sommet d’une motte de terre. Nous sommes sur le territoire d’une famille. Soudain, une marmotte dévale la pente et, juste en face de nous, fonce à toute vitesse vers Domi et moi ; l’appareil photo est prêt mais, quand elle parvient à quelques mètres de nous, c’est la panique ; elle va nous attaquer !… Horreur, stupeur, les marmottes alpines ne sont pas aussi mignonnes qu’elles en ont l’air. Aurélie Cohas l’affirme : Souvent, les victimes sont de jeunes marmottes. Elles se font dénuquer à coups de dents. Parfois lapider, ou enterrer vivantes. Et je ne parle pas des cas fréquents d’infanticides (selon Geo Petits meurtres entre marmottes… 10 choses que vous ne saviez pas sur ces rongeurs sans pitié). A quelques mètres de nous, sous nos pieds, la marmotte s’enfonce dans une entrée de galerie…
La boucle est bientôt fermée ; un ilôt rocheux trône au milieu du lac d’un bleu pur ; la fin du nouveau sentier du tour du lac, inauguré le 9 juillet 2014, a été dallée avec de grosses dalles plates, à la manière des anciens, en pierre sèche. 2 à 3 m² par jour sur 3 à 4 mois dans l’année (hors enneigement). Le chef d’équipe, fier du travail de ses ouvriers, après 10 ans de travaux, a gravé ses initiales sur la dernière pierre posée.
[…] le Parc national est intervenu pour proposer un sentier adapté au site, à la qualité paysagère attendue par les visiteurs et en ayant l’objectif d’éviter l’érosion des sols. […]
[…] un véritable ouvrage d’art a vu le jour et pour longtemps. Son coût : 200 000€.
Les travaux réalisés : dallages en « dalles de poids », déroctage4, élargissements, pose d’une passerelle en bois massif de mélèze, finition et reprise du profil… D’après le nouveau sentier du tour du lac, parc du Mercantour
Une randonnée qui vaut le déplacement et même une seconde visite, voire une troisième ; c’est un endroit préservé, naturel, enchanteur, beau. Spectacle à partager entre amis. Pour nous, c’est déjà programmé pour l’an prochain avec nuit en refuge.
Image de l’itinéraire 9km100, 167 m dénivelée (+381, -381 avec la montée des marmottes), 7h24 au total (un peu moins de 5h de marche). Télécharger la trace
1mélèze : cône petit et arrondi, rose au printemps ; aiguilles en toupet vert clair
2pin crochet : cône allongé, écailles format des crochets ; aiguilles longues, raides, attachées par deux, vert foncé
3Pelat : fait référence à son aspect dénudé, pelé
4déroctage : terme technique, action d’araser les pointes de pierres proéminentes
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